Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome II.djvu/162

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Pendant le dîner est arrivé un télégramme signé François Hugo nous annonçant un gouvernement provisoire : Jules Favre, Gambetta, Thiers.


5 septembre. — À six heures du matin, on m’apporte un télégramme signé Barbieux me demandant l’heure de mon arrivée à Paris. Je fais répondre par Charles que j’arriverai à neuf heures du soir. Nous emmènerons les enfants. Nous partirons par le train de deux heures trente-cinq.

Le gouvernement provisoire (journaux) se compose de tous les députés de Paris, moins Thiers.

À midi, comme j’allais partir de Bruxelles pour Paris, un jeune homme, un français, m’a abordé sur la place de la Monnaie et m’a dit : — Monsieur, on me dit que vous êtes Victor Hugo ?

— Oui.

— Soyez assez bon pour m’éclairer. Je voudrais savoir s’il est prudent d’aller à Paris en ce moment ?

Je lui ai répondu : — Monsieur, c’est très imprudent, mais il faut y aller.

Nous sommes entrés en France à quatre heures.

À Tergnier, à six heures et demie, nous avons dîné d’un morceau de pain, d’un peu de fromage, d’une poire et d’un verre de vin. Claretie a voulu payer, et m’a dit : — Je tiens à vous donner à dîner le jour de votre rentrée en France.

Chemin faisant, j’ai vu dans un bois un campement de soldats français, hommes et chevaux mêlés. Je leur ai crié Vive l’armée ! et j’ai pleuré. Nous rencontrions à chaque instant des trains de soldats allant à Paris. Vingt-cinq convois de troupe ont passé dans la journée. Au passage d’un de ces convois, nous avons donné aux soldats toutes les provisions que nous avions, du pain, des fruits et du vin. Il faisait un beau soleil, puis, le soir venu, un beau clair de lune.

Nous sommes arrivés à Paris à neuf heures trente-cinq. Une foule immense m’attendait. Accueil indescriptible. J’ai parlé quatre fois. Une fois du balcon d’un café, trois fois de ma calèche. En me séparant de cette foule, toujours grossie, qui m’a conduit jusque chez Paul Meurice, 26, rue de Laval, avenue Frochot, j’ai dit au peuple : — Vous me payez en une heure vingt ans d’exil. On chantait la Marseillaise et le Chant du départ. On criait : Vive Victor Hugo ! À chaque instant, on entendait dans la foule des vers des Châtiments. J’ai donné plus de six mille poignées de main. Le trajet de la gare du Nord à la rue de Laval a duré deux heures. On voulait me mener à l’Hôtel de Ville. J’ai crié : — Non, citoyens ! je ne suis pas venu ébranler le gouvernement provisoire de la République, mais l’appuyer. — On voulait dételer ma