Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome II.djvu/187

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Hugo, qui est si puissant, voulait demander pour moi au gouvernement un peu de poussier, je pourrais blanchir ses chemises.

J’étais aux Feuillantines, un obus est tombé près de moi.

Outre mes convives ordinaires du jeudi, j’ai eu à dîner Louis Blanc, Rochefort, Paul de Saint-Victor[1]. Mme Jules Simon m’a envoyé du fromage de Gruyère. Luxe énorme. Nous étions treize à table.

Premières personnes tuées dans Paris par le bombardement : quatre rue Gay-Lussac, deux près du Val-de-Grâce.


6 janvier. — Au dessert, hier, j’ai offert des bonbons aux femmes et j’ai dit :

Grâce à Boissier, chères colombes,

Heureux, à vos pieds nous tombons ;
Car on prend les forts par les bombes,

Et les faibles par les bonbons.

Les parisiens vont, par curiosité, voir les quartiers bombardés. On va aux bombes comme on irait au feu d’artifice. Il faut des gardes nationaux pour maintenir la foule. Les prussiens tirent sur les hôpitaux. Ils bombardent le Val-de-Grâce. Leurs obus ont mis le feu cette nuit aux baraquements du Luxembourg pleins de soldats blessés et malades, qu’il a fallu transporter, nus et enveloppés comme on a pu, à la Charité. Barbieux les y a vus arriver vers une heure du matin.

Seize rues ont déjà été atteintes par les obus.


7 janvier. — La rue des Feuillantines percée là où fut le jardin de mon enfance est fort bombardée.

Ma blanchisseuse, n’ayant plus de quoi faire du feu et obligée de refuser le linge à blanchir, a fait à M. Clemenceau, maire du ixe arrondissement, une demande de charbon, en payant, que j’ai apostillée ainsi :

« Je me résigne à tout pour la défense de Paris, à mourir de faim et de froid, et même à ne pas changer de chemise. Pourtant je recommande ma blanchisseuse à M. le maire du ixe arrondissement. » — Et j’ai signé. Le maire a accordé le charbon.


8 janvier. — Camille Pelletan nous a apporté du gouvernement d’excellentes nouvelles. Rouen et Dijon repris, Garibaldi vainqueur à Nuits et Faidherbe à Bapaume. Tout va bien.

  1. Secrétaire de Lamartine en 1848, rédacteur au Correspondant, puis à la Presse et à la Liberté où il fut critique littéraire et critique d’art. Il fut nommé, en février 1870, inspecteur général des beaux-arts. (Note de l’éditeur.)