Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome II.djvu/377

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la plus simple est la meilleure. M. Burty me comprendra, et n’insistera pas. Je n’en suis pas moins chatouillé dans ma vanité qu’il ait cru un croquis de moi présentable en si grande compagnie.

J’attends toujours la table du livre Paris. Je n’aimerais point l’addition au titre que je vois dans les journaux : Par ses illustrations. On ne se dit point ces choses-là à soi-même. C’est votre avis, n’est-ce pas[1] ?


Victor Hugo ne recevait toujours aucun renseignement sur le livre. Il s’en inquiète dans cette lettre à Paul Meurice :


H.-H., 14 novembre 1866.

Je n’ai nulle nouvelle du livre Paris. M. Lacroix devait m’envoyer la table, ou le tableau, du livre. Nous voici au 14 novembre, rien. Savez-vous où en est la chose, vous qui avez créé l’idée ?

M. Lacroix était très pressé de mon speech d’introduction ; il le voulait avant le 1er décembre. Il me laisse sans renseignements. Le retard sera sa faute. Voulez-vous être assez bon pour le lui faire dire[2].


Les divergences qui s’étaient produites déjà vers la fin de septembre entre Paul Meurice et Lacroix s’étaient accentuées en octobre. Paul Meurice sentait bien qu’il ne serait pas le maître d’exécuter son plan comme il l’entendrait, qu’il se heurterait à des questions de personnes. Pour lui, ce livre devait être ouvert non à une foule, mais à une élite. Or Lacroix avait ses favoris, et il enrégimentait volontiers dans son bataillon ses amis qui n’avaient pas tous une notoriété bien éclatante et une compétence bien affirmée. On comprend que Paul Meurice ne voulait pas garder la responsabilité d’une œuvre dont il n’aurait pas la direction. Il songea donc à se retirer. Lacroix attachait trop de prix à un si puissant concours pour ne pas tenter de retenir Paul Meurice ; et, dans un esprit de conciliation auquel on ne saurait trop rendre hommage, Paul Meurice proposa la combinaison suivante : Lacroix aurait la direction générale du livre ; le travail serait divisé de la façon suivante : Burty s’occuperait de l’art, Paul Meurice prendrait la science et Louis Ulbach la vie. Lacroix se cabra, confia la direction générale à Louis Ulbach, sous prétexte de garder à l’œuvre l’unité et pria Paul Meurice de donner à Ulbach son plan, ses idées, sa liste de collaborateurs. Paul Meurice céda au désir de Lacroix, mais refusa toute collaboration au Paris-Guide et Lacroix lui reprocha plus tard une abstention qu’il avait lui-même provoquée.

Victor Hugo avait été vivement attristé à la nouvelle de cette retraite. Paul Meurice à la tête du Paris-Guide c’était pour lui un garant sûr, qui pouvait choisir les collaborateurs les plus autorisés, contrôler les articles et ne pas laisser passer ceux qui seraient en contradiction trop flagrante avec ses idées. Cette garantie, à laquelle il avait tenu, lui échappait ; il redoutait désormais que le livre se fît en dehors de lui ; sans doute il espérait encore que son fils François-Victor, qui appartenait à la rédaction du Paris-Guide et qui avait un pouvoir d’arbitre, aurait le droit de revoir, de corriger les épreuves et de faire prévaloir son opinion. Cette espérance fut anéantie.

En effet François-Victor Hugo écrivait à son père deux lettres qui sont collées dans les carnets et qui font allusion à une petite conspiration. Il était question d’écarter certains écrivains très connus au profit de médiocrités. Lacroix, un peu timoré, redoutait les procès que pourraient provoquer les articles signés par des hommes appartenant à l’opposition avancée ; et sa timidité avait une double excuse : il risquait de gros capitaux dans l’entreprise et il avait une médiocre confiance dans le libéralisme du gouverne-

  1. Correspondance de Victor Hugo et de Paul Meurice.
  2. Idem.