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inouïes des personnes les plus diverses frappant aux mêmes portes. L’autre matin j’ai reçu dans l’espace de deux heures M. Taylor, qui est réduit à vendre ses livres et qui demande la direction du Théâtre-Français, Alphonse Esquiros qui se cache étant poursuivi comme insurgé de juin et qui venait me demander si je pensais qu’il dût se présenter au conseil de guerre, Mlle  George, qui est sans pain et qui sollicite une pension, M. l’amiral de Mackau qui est inquiété dans son bâton de maréchal de France, et Vidocq, qui venait me remercier d’avoir aidé à son élargissement dans l’affaire Valençay.




XXI


Avril 1849.

Un matin, au milieu de la tranquillité en apparence la plus profonde, Paris apprenait en s’éveillant que les troupes étaient restées sur pied toute la nuit dans les casernes avec ordre de se tenir prêtes à marcher à deux heures du matin.

Un jour, vers la mi-avril, Hello rencontrait Gouache, ancien rédacteur en chef à la Réforme. C’était rue de Tournon, près du logis de Ledru-Rollin.

— Hé bien, disait Gouache, cette fois ça va.

— Quoi ?

— La bataille.

— Quand ?

— Vous verrez.

— Est-ce sûr ?

— C’est décidé. Je viens d’en prévenir Ledru.

— D’ici à deux ou trois mois ?

— D’ici à quinze jours.

— Et pourquoi ?

— Nous ne voulons pas des élections. Nous aimons mieux nous battre dans la rue que dans une boîte.

— Et que ferez-vous ?

— Ceci, je ne le dis pas. Pour le reste, quant à la résolution prise, je vous recommande l’indiscrétion. Je le dirais à Rébillot[1] lui-même.

— Combien êtes-vous ?

  1. Rébillot, un brave colonel borgne, qui était préfet de police. — Diable d’homme, disait le cubiste Sérignac, il n’a qu’un œil et il en a cent. (Note de Victor Hugo.)