Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome II.djvu/52

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— Ah oui, vous avez raison. Nostra culpa, nostra maxima culpa ! Quelle année que 1847 ! Comme 1847 a amené 1848 ! Rien que dans notre Chambre des pairs. Teste et Cubières condamnés pour corruption ! Le mot escroquerie s’attachant aux épaulettes de général et le mot vol à la robe de président ! Et puis, le comte Bresson qui se coupe la gorge ! Le prince d’Eckmühl qui donne un coup de couteau à sa maîtresse, une vieille catin qui ne valait même pas un coup de pied ! Le comte Mortier qui veut tuer ses enfants ! Le duc de Praslin qui tue sa femme ! N’y a-t-il pas une fatalité dans tout cela ? Le haut de la société a épouvanté le bas. Tenez, le peuple ! nous ne lui ôterons jamais de l’idée que nous avons empoisonné le duc de Praslin. Ainsi l’accusé assassin et les juges empoisonneurs ! voilà l’idée qu’il s’est faite de toute l’affaire. D’autres croient que nous avons fait sauver ce misérable duc et que nous avons mis un cadavre quelconque à sa place ! Il y a des gens qui disent : Praslin est à Londres et y mange cent mille livres de rente avec Mme Deluzy. C’est avec tout cela, des propos, des commérages, des choses terribles, qu’on a sapé ce vieux monde vermoulu. Maintenant, c’est par terre. On n’y a pas gagné grand’chose. Toutes les sottises ont été lâchées à la fois. C’est égal, je crois que 1847 m’a laissé une impression encore plus triste que 1848. Tous ces affreux procès ! Ce procès Teste ! Je n’y voyais déjà plus clair, j’étais obligé de me faire lire les pièces, d’avoir toujours là derrière moi M. de la Chauvinière pour me tenir lieu de mes yeux que je n’avais plus. Se faire lire, vous ne vous figurez pas comme cela est gênant ! Rien ne se grave dans l’esprit. Je ne sais pas comment j’ai fait pour présider cette affaire. Et les six dernières heures du duc de Praslin ! quel spectacle ! Ah vous, poëte tragique, qui cherchez de l’horreur et de la pitié, il y en avait là ! Ce malheureux auquel tout échappait en même temps, qui se tordait dans une double agonie, qui avait le poison dans le ventre et le remords dans l’esprit ! C’était horrible. Il repoussait tout et il se rattachait à tout. Par moments, il se mordait les mains avec angoisse, il nous regardait, il appuyait sur nous son œil fixe, il semblait à la fois demander à vivre et demander à mourir. Je n’ai jamais vu désespoir plus frénétique. Le poison qu’il avait pris était de ceux qui doublent les forces de la dernière heure et qui surexcitent la vie en la dévorant. Comme il allait expirer, je lui dis : Par pitié pour vous-même, avouez ! êtes-vous coupable ? Il me regarda avec terreur et répondit faiblement : Non. Ce fut un moment effrayant. Il avait en même temps le mensonge sur les lèvres et la vérité dans les yeux. Oh ! je vous aurais voulu là, Monsieur Hugo ! Enfin tout cela est fini. — L’autre jour, j’ai eu l’idée d’aller revoir le Luxembourg.

Il s’arrêta. Je lui dis :

— Eh bien ?