Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/105

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comme un but. Je vivrais hors de ma gloire, tout en ayant pour elle le respect que l’on doit toujours à de la gloire. Si elle m’arrive, comme on le prédit, je ne l’aurai ni espérée, ni désirée, car je n’ai ni espérance, ni désir à donner à d’autre qu’à toi. Tu es toi, Adèle, mon but unique, et tous les chemins pour y atteindre me sont bons, pourvu qu’on y puisse marcher droit et ferme, sans ramper sur le ventre et sans courber la tête. C’était là ma pensée quand je te disais que j’aimais beaucoup mieux me créer moi-même en travaillant mes moyens d’existence que les attendre de la hautaine bienveillance des hommes puissants. Il est bien des manières de faire fortune et je l’aurais certainement déjà faite par eux si j’avais voulu acheter des faveurs par des flatteries. Ce n’est pas ma manière. Je me suis borné à demander l’accomplissement d’un droit, j’ai obtenu une promesse, et j’attends.

Au reste, chère amie, tu es instruite de tout cela comme moi. M’aurais-tu, dis-moi, conseillé autre chose que ce que j’ai fait ? Aurait-il été bien digne de toi que ton Victor allât chaque jour fatiguer de ses instances depuis le ministre jusqu’au dernier commis ? J’ignore encore si ma réclamation simple et juste a réussi ; mais, certes, ni toi, ni moi, n’aurions voulu qu’elle réussît à ce prix. On voit encore des hommes tout obtenir au moyen des femmes, intrigues de corruption et de vanité que le mépris du monde ne flétrit pourtant pas. Je me hâte de te dire en quatre mots que je le pourrais aussi, mais il est sans doute inutile d’ajouter que ton mari rejette ces turpitudes avec horreur et dégoût.

Que reste-t-il donc à un jeune homme qui dédaigne de s’avancer par les deux voies les plus faciles ? Rien, que la conscience de sa force et l’estime de lui-même. Pour moi, Adèle, la conscience de ton affection fait toute ma force. Il faut frayer sa carrière noblement et franchement, y marcher aussi vite qu’on le peut sans froisser ni renverser personne, et se reposer du reste sur la justice de Dieu.

Ne conclus pas de là cependant, mon amie, que je me contente de me livrer dans ma retraite à des travaux de mon choix et peut-être infructueux, en fermant nonchalamment les yeux sur tout autre moyen de parvenir. Grand Dieu, Adèle, ton avenir n’est-il pas lié au mien ? Va, qu’il se présente demain une demande juste à faire à un homme juste, et rien ne m’empêchera de l’exposer avec confiance et de la soutenir avec vigueur. Fallût-il pour t’obtenir trois mois plus tôt, abandonner les projets et les rêves de toute ma vie, suivre un état nouveau, entreprendre des études nouvelles, ce serait, mon Adèle, avec bien de la joie. Tu serais à moi, aurais-je quelque chose à regretter ? Je remercierai le ciel de toutes les épines dont il sèmera ma route, pourvu que cette route conduise à toi. Oh ! dis-