Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/117

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
Lundi 21 (janvier).

Tu m’as pardonné, toi, Adèle ; mais moi, me pardonnerai-je jamais ? C’est à deux genoux que j’aurais voulu te demander grâce, c’est avec mes lèvres que j’aurais voulu recueillir tes larmes d’ange, avec mon sang que j’aurais voulu les racheter. Je suis bien coupable, mon Adèle adorée, et bien malheureux d’être aussi coupable. Tu me pardonnes ; mais, je me le redis amèrement, jamais je ne me pardonnerai. Je croyais ne pouvoir éprouver d’affliction plus grande que celle de jeudi, celle de voir souffrir mon Adèle bien-aimée. Hé bien ! cette douleur n’est rien près de ce que j’ai ressenti aujourd’hui, en te voyant souffrir et pleurer par ma faute. Je me déteste, je m’exècre. Plus tu es douce, bonne, admirable, plus je suis odieux. Avoir troublé le repos de mon Adèle malade est un crime dont je ne serai jamais assez puni et dont ton inépuisable indulgence me fait sentir plus encore l’énormité.

Chère amie, cependant, je t’en supplie, crois qu’au fond je ne suis pas réellement méchant. Je suis bien indigne de toi, mais dans ma nature imparfaite peut-être ma conduite est-elle excusable. C’était la première fois que tu me manifestais le désir de me voir absent. L’idée que je t’étais importun et que par conséquent tu ne m’aimais plus fermenta dans ma tête. Tu voulus me rappeler, mais le coup était porté. Te dirai-je tout ? Quand je fus sorti, je balançai si je rentrerais de la soirée. Il me semblait prouvé que ma présence t’était à charge. Dis-moi, chère amie, t’aurais-je aimée si j’avais pu supporter une telle pensée avec indifférence  ? Maintenant je ne sais plus ce que j’ai fait. Songe seulement que je ne pouvais croire t’affliger aussi vivement. Oui, mon Adèle, je suis bien coupable, mais réfléchis, et si tu connais l’âme de ton pauvre Victor, tu verras que l’origine de ma faute même n’est autre chose qu’un excès d’amour. Si tu savais aussi quelle nuit j’ai passée de mon côté... Je ne te parle pas de cela, qu’importe ce que j’ai souffert ! Seulement depuis jeudi mes nuits s’écoulaient dans l’insomnie ou dans un mauvais sommeil à cause de mes inquiétudes sur ta santé ; celle de dimanche, tourmentée par des doutes sur ta tendresse, n’a pas été, certes, moins cruelle. Mais encore une fois qu’importe ce que j’ai souffert ! Puissé-je avoir souffert cent fois plus, s’il est possible, et t’avoir épargné une minute de douleur !