Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/13

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à-terre dans la banlieue. L’été de 1819, elle s’en alla camper à Issy. Cette villégiature contraria vivement Victor ; il eut beau insinuer qu’Issy n’était pas beaucoup plus loin que le Conseil de guerre, qu’il n’y avait que Vaugirard à traverser et qu’on y était ; les visites ne purent plus être de tous les jours. Souvent pourtant, quand le temps était beau, Mme Hugo prenait ses deux fils, achetait en route des corbeilles de fruits qu’ils étaient heureux de porter à Issy, et la domestique, à laquelle ils les remettaient, se hâtait d’ajouter trois couverts. Les fruits mangés, on allait dans le jardin respirer un peu de fraîcheur[1]. »

L’automne arriva, le retour à Paris. Le feu avait couvé pendant cette demi-absence.

Le doux penchant devint une indomptable flamme[2].

Indomptable est le mot. L’amour est entré dans le cœur et dans la vie de Victor Hugo ; il va tout dominer et résister à tout.

C’est à ce moment, au retour d’Issy, dans les derniers mois de 1819, que doit avoir commencé la correspondance suivie.

Victor maintenant semble avoir été moins timide : il avait demandé et il avait obtenu d’Adèle des rendez-vous où ils pouvaient se voir seuls. C’était dans le jardin de l’hôtel Toulouse, un assez beau jardin avec de grands arbres au fond. Quand sa mère était sortie, son père à son bureau, Adèle s’échappait, descendait vivement l’escalier, se glissait par un couloir demi-obscur et allait retrouver Victor, qui l’attendait « sous les grands marronniers ». — Mais tous ces entretiens furtifs étaient forcément bien rapides. On y suppléait en s’écrivant des lettres qu’on se glissait dans la main à chaque entrevue.

Les premières de ces lettres nous manquent, elles ne différaient sans doute pas beaucoup de celles qui restent. Celles de Victor étaient pleines de passion, celles d’Adèle étaient pleines de trouble.

Leur état d’esprit n’était pas le même.

À dix-sept ans, Victor Hugo, accoutumé par sa mère à prendre la vie par ses côtés sérieux, a déjà beaucoup travaillé, beaucoup appris, beaucoup réfléchi. Ses sens ignorent ; heureuse et rare condition pour connaître l’amour : il le connaîtra d’abord par le sentiment.

...Elle, Adèle, à seize ans, n’est rien qu’un enfant. Avec une intelligence très vive, son cœur est toujours celui d’un enfant, d’un enfant ingénu et tendre, et c’est en enfant, avec les ignorances, les étonnements, les timidités et les scrupules d’un enfant qu’elle se laisse aller à l’amour. Ce qui chez Victor est passion, chez elle n’est qu’instinct. La jeune fille est restée petite fille, et la petite fille est de plus une petite bourgeoise. Son père, catholique pratiquant, l’a élevée dans la piété, et elle communie, et elle a un confesseur ! Elle a cédé en aimant à une impulsion naturelle, mais elle devra bientôt s’effrayer de son « péché », de son imprudence.

...À défaut des lettres perdues de l’automne de 1819, le premier témoignage écrit que l’on possède de l’amour de Victor Hugo, ce sont des vers, Premier Soupir, datés du mois de décembre.

  1. Victor Hugo raconté par un Témoin de sa vie.
  2. Odes et Ballades.