Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/140

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Mardi 6 h. du soir[1]. [12 février.]

Il faut que je t’avoue, Adèle, afin de décharger tout de suite ma conscience, que je ne t’ai point dit la vérité tout à l’heure quand j’ai prétendu que je dînais en ville. La crainte de sembler importun et d’autres motifs de délicatesse que tu sentiras rendent peut-être cette faute excusable, mais je pense que ce n’en est pas moins une faute et je la soumets par conséquent à mon juge. Gronde-moi encore, chère amie, car je viens de jouir pendant plusieurs heures du bonheur de te voir et je suis pourtant contrarié et mécontent. Après avoir été pendant quatre heures debout et foulé, j’espérais qu’au moins quand je pourrais te parler tu me demanderais avec ta douce voix si j’étais bien fatigué. J’ai été trompé dans mon attente, tu n’y as pas songé, ce qui était tout simple, et cependant il a suffi de cela pour que je sois ici triste et découragé. Tu vois, ma bonne Adèle, que je te montre toutes mes faiblesses ; je voudrais absolument être aimé comme j’aime, sans penser qu’il faudrait d’abord être aussi digne que toi d’un amour grand et dévoué. Il me semble qu’à ta place je me serais informé d’une chose qui dans le fait n’était pas pour toi d’un extrême intérêt. J’étais venu à la Chambre pour y voir ma bien-aimée Adèle, ce n’était pas ta faute, je ne m’y trouvais que pour mon plaisir, et par conséquent ma gêne et ma lassitude, en supposant que j’aie pu être las et gêné, n’étaient pas ton affaire. Hé bien ! chère amie, j’ai pris ton silence pour de l’indifférence, je n’étais pas, à dire vrai, très fatigué, mais j’attendais une marque d’intérêt, et je suis maintenant très tourmenté. Adieu, pardonne-moi et plains-moi. Aime-moi autant que tu pourras et gronde-moi, lorsqu’il m’arrivera, comme aujourd’hui, d’être injustement mécontent. Et puis, je n’ai pu te donner le bras, et j’ai su que je ne te verrais pas vendredi. — Tout cela a contribué au chagrin singulier que j’éprouve. Adieu encore, je tâcherai de te remettre ce billet demain soir, afin que tu me pardonnes tout de suite mon petit mensonge de convention. Puisque tu daignes me le permettre encore, je t’embrasse tendrement. Que n’es-tu en ce moment, chère Adèle, près de ton pauvre fou de mari.

Victor.
  1. Inédite.