Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/144

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Samedi [16 février].

Loin de me fâcher, chère amie, ta lettre m’a fait bien plaisir, comme toutes celles que tu m’écris avec un accent de tendresse et de vérité. Comment peux-tu croire que je te voie avec répugnance me montrer tout ton cœur à découvert, moi qui ne désire rien sinon d’être le confident de tes pensées ? Sois donc bien convaincue que tu peux, je dis plus, que tu dois tout me dire. Il serait peu généreux de ma part d’exiger que tu me parlasses toujours de ton affection et jamais de tes inquiétudes ; tes inquiétudes d’ailleurs naissent de ton affection. Comment pourraient-elles me déplaire ? En me demandant comment j’emploie mon temps, tu fais, mon Adèle, ce que je ferais à ta place, ce que j’aurais même fait plus tôt. Ne me fais donc pas, je t’en supplie, l’injure d’employer tant de précautions pour en venir à une question si simple et qui même est douce pour moi parce qu’elle me prouve que tu prends quelque intérêt à mes actions. N’as-tu pas droit à toute ma confiance, comme moi à toute la tienne ? Je voudrais que tu me demandasses tous les soirs ce que j’ai fait dans la journée, afin d’avoir un éloge de toi quand je l’aurais bien employée et un reproche quand je l’aurais perdue. Je suis sûr que j’en perdrais bien peu.

Chère amie, je suis charmé de voir que tu n’es pas indifférente à ce qui m’occupe[1] ; je l’avais craint jusqu’ici, et c’est le seul motif qui ait pu me faire garder le silence avec toi sur ce sujet. Comment ! de simples amis sauraient à quels travaux se remplissent mes journées, et toi, mon Adèle, ma femme, mon génie inspirateur, toi qui es tout pour moi, tu ne le saurais pas ! Pourquoi ne m’en as-tu pas parlé plus tôt ? Pourquoi m’as-tu laissé croire si longtemps que l’emploi de mon temps et la nature de mes occupations ne t’intéressaient en rien ?

  1. « ... Me dire comment tu emploies ton temps me ferait plaisir. Non pas que je doute le moins du monde que tu ne l’emploies très convenablement, mais tout ce qui t’occupe m’intéresse... Je voulais encore te dire que souvent (tout autre que maman) l’on me disait qu’il était à craindre que tu n’aies pas le goût du travail. Je suis loin de croire cela, mais cependant voilà six mois qu’il est probable que tu n’as pas perdus, mais que sans doute tu aurais pu mieux employer... Je suis femme, je ne peux rien, mais je réfléchis à tout et je vois que rien n’avance. Cher ami, tu ne te fâches pas, n’est-ce pas ?... Comment veux-tu qu’on croie que tu m’aimes et que tu désires m’épouser quand on présume que tu ne fais rien pour cela ? » (Reçue le 15 février 1822.)