Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/173

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réflexion amère dont tu t’es offensée si justement m’est-elle échappée que je m’en suis repenti. Pourtant cela aura pu te faire voir à quel point j’étais ému, humilié et tourmenté pour une chose que tu parais traiter sans conséquence. Je t’ai quittée sans un mot de réconciliation de toi. Aujourd’hui, j’espère que cet orage se dissipera. Cependant je ne me dissimule pas que n’ayant pas le cœur content, il me sera impossible de t’aborder avec un visage joyeux. J’attendrai que tu m’expliques cette opiniâtreté incompréhensible pour moi de ne tenir nul compte d’une prière que je n’aurais pas même dû être contraint de te faire. J’apporterai les meilleures dispositions à t’entendre, je cherche même d’avance à te justifier dans mon esprit, mais j’avoue que je n’y parviens pas. À toi, il te suffira peut-être d’un mot. Tu m’as sans doute hier soir accusé après mon départ de sévérité et de rudesse, quand j’avais le cœur plein de pardon et de tristesse. Adèle, toi qui me dis injuste, n’es-tu pas quelquefois un peu injuste toi-même de m’attribuer la gêne et le silence que m’imposent les regards de tous ceux qui nous entourent ? Si nous étions seuls, si nous pouvions nous expliquer librement, tu verrais si ton Victor est dur et inflexible comme tu le crois.

Chère amie, ta lettre d’hier soir m’a versé un peu de baume sur le cœur. Les détails charmants dont tu me parles, ma femme, étaient loin de m’occuper peu, comme tu le penses. Je ne souffrirai certainement pas que tes parents fassent le moindre sacrifice quand le bienheureux moment sera venu[1]. Je vais dès à présent commencer des économies qui accroîtront un peu mes autres ressources ; je regrette presque ce vil or que j’ai prodigué l’an dernier pour des ingrats. Enfin !… Je voudrais pouvoir t’offrir un temple et non une maison. Tu verras. Travailler, économiser et solliciter, voilà ma vie jusqu’à notre mariage.

Adieu, bien-aimée Adèle, embrasse-moi. J’espère que ce soir nous nous serons pardonné mutuellement. Il m’eût été bien doux d’habiter Gentilly près de toi[2] Les raisons que tu me donnes ne me satisfont pas. Tu auras peut-être un voisin inconvenant.

Adieu, adieu, pense à moi et embrasse-moi encore.

Ton mari fidèle et respectueux.
  1. « ... Il faudra nécessairement trouver quelque argent pour le moment du mariage. Certainement mes parents sont là, mais peut-être serait-ce trop que de leur demander tout ce qu’il faudra pour cette époque. Tu connais mes goûts et combien j’ai peu d’ambition ; mais enfin il faut avoir un chez soi. »
  2. « ... Tu me parlais, je ne sais si c’est sérieusement, de venir à Gentilly. Quelle serait ma joie si cela se pouvait !... Il faut que tu sois à Paris pour toutes tes affaires. » (Reçue le 16 mars 1822.)