Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/191

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demie, je ne puis la mesurer de l’œil sans un certain effroi. C’est que le bonheur de t’écrire est encore si différent du bonheur de te voir ! Je ne sais, mais plus je te vois, plus je sens combien ta vue est nécessaire à mon existence ; chaque jour je me dis qu’il est impossible d’être plus parfaite que tu ne l’es, et chaque soir je me couche avec l’idée que j’ai découvert en toi une perfection nouvelle. Il y a si longtemps que cela dure, mon Adèle, que cette seule preuve suffirait pour démontrer que mon amour pour toi ne finira jamais. Oh ! si tu m’aimes, que nous serons heureux ! Quand ma pensée se reporte aux temps douloureux qui sont passés pour nous et que je les compare à la félicité dont je suis si près de jouir, je suis merveilleusement frappé de l’espace que la vie peut parcourir en si peu de temps. Je croyais qu’il y avait plus loin du fond du désespoir au faîte du bonheur. Et quand j’envisage du point où je suis actuellement arrivé la situation où j’étais il y a un an, je suis comme le voyageur qui s’effraie de l’abîme dont il vient de sortir. Ô Adèle !

Je me dis souvent : Peut-être avons-nous encore bien des épreuves à subir, bien des contrariétés, bien des malheurs même à supporter, mais il est impossible que cet effroyable passé revienne pour nous. Nous avons payé par assez d’afflictions un heureux avenir, et l’on n’essuie pas deux fois de semblables malheurs sans mourir. Que nous importent donc les peines qui peuvent nous attendre maintenant ! N’est-il pas vrai, ange bien-aimée, que les souffrir ensemble, ce ne sera pas souffrir ? Ah ! si tu m’aimes, Adèle, tu ne me démentiras pas. Oh oui ! tu m’aimes, mon Adèle adorée, tu m’aimes, puisque je vis.

Adieu, je t’embrasse tendrement.

Victor.