Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/22

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28 février. — Lundi.

Je serais bien fâché, mon Adèle, de t’avoir rendu, ainsi que tu paraissais le désirer hier au soir, cette lettre qui, malgré les cruelles réflexions qu’elle m’a fait faire, m’est devenue bien chère, puisqu’elle me prouve que tu m’aimes encore.

C’est avec joie que j’avoue que tous les torts sont de mon côté, et c’est avec le plus sincère repentir que je te conjure de me les pardonner. Non, mon Adèle, ce n’est pas à moi qu’il est réservé de te punir[1], (te punir ! et de quoi ?) mais c’est à moi qu’il est réservé de te défendre et de te protéger.

M. Asseline est bien heureux d’être ton oncle[2]. Je te réitère la recommandation que je t’ai déjà faite à son égard dans mon premier billet ; c’est avec peine que j’ai appris que tu étais sortie seule avec lui mardi dernier.

Informe-moi toujours de tout ce qui t’arrive, de tout ce que tu fais et même de tout ce que tu penses. J’ai ici un petit reproche à te faire. Je sais que tu aimes les bals, tu m’as dit toi-même, dernièrement, que la valse était pour toi une tentation bien attrayante ; pourquoi donc as-tu refusé l’offre qui t’a été faite ces jours passés ? Ne t’y trompe pas : lorsque j’ai renoncé pour toi aux bals et aux soirées, c’était simplement de l’ennui que je m’épargnais, ce n’était pas un sacrifice que je te faisais, il n’y a de sacrifice à se priver d’une chose que lorsque la chose dont on se prive faisait éprouver du plaisir. Or, je n’ai de plaisir qu’à te voir ou à me trouver près de toi. Pour toi, du moment où la danse t’amuse, la privation d’un bal est un vrai sacrifice. Je suis très reconnaissant de ton intention, mais je ne saurais l’accepter. Je suis, à la vérité, excessivement jaloux ; mais il serait trop peu généreux de ma part de t’enlever par pure jalousie à des plaisirs qui sont de ton âge et qui seraient sans doute aussi des plaisirs pour moi, si tu ne me suffisais pas. Amuse-toi donc, va au bal, et au milieu de tout cela, ne m’oublie pas. Tu trouveras sans peine des jeunes gens plus aimables, plus galants, et surtout plus brillants que moi, mais j’ose dire que tu n’en

  1. « Je lus ta lettre, en réponse à la mienne. Ce qu’elle m’a fait souffrir est inexprimable. C’est à toi qu’il est réservé de me punir. »
  2. « Mon oncle, me voyant à ton arrivée, fort peu disposée à aller chez Rosalie, me fit à cette occasion une plaisanterie capable de me fâcher. »