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Vendredi (9 août).

Je n’ai que peu de temps devant moi, chère amie, car il n’est pas loin de six heures. Je viens de travailler et de dîner. Toute ma journée m’a échappé sans que j’aie pu t’écrire plus tôt. Toutes mes journées, Adèle, sont maintenant bien tristes et bien insipides.

J’espère cependant que cette solitude où je vis finira bientôt et que nous retournerons à Gentilly avant la fin du mois. Mon Adèle, c’est la privation de te voir comme je te voyais à Gentilly qui me désole. Je t’en prie, soutiens mon courage, car je suis bien près d’en manquer. J’ai eu trois mois si heureux avant ce triste mois ! Je m’étais accoutumé au bonheur, j’avais cru presque que c’était la vie. À présent, il faut reprendre cette insupportable vie qui me rappelle si cruellement l’année passée. Il faut perdre des habitudes qu’il m’avait été si doux de prendre et reprendre des habitudes qu’il m’avait été si doux de quitter.

Cependant, à Gentilly même où j’étais si heureux, Adèle, il me manquait quelque chose, il me manquait tout ! Je ne serai pleinement heureux que lorsque je pourrai passer tous mes instants près de toi, et tu te rappelles qu’il était loin d’en être ainsi à Gentilly. Pourtant, que ne donnerais-je point pour y être encore.

Je me souviens avec délices de nos promenades à Arcueil, à Bourg-la-Reine, etc. Je me rappelle nos parties sur l’eau où j’avais le bonheur de conduire la barque qui te portait ; je me rappelle surtout avec une joie et un regret inexprimables ces petites visites si courtes que ma femme adorée daignait me faire le matin dans mon heureuse tour. Je me représente ces moments de ravissement et d’ivresse. Oh ! dis-moi qu’ils reviendront, mon Adèle chérie, et qu’ils nous apporteront un bonheur plus grand, une félicité plus complète encore. Pardonne-moi de dire nous, mais tu veux toi-même que je croie à ton amour et comment vivrais-je si je n’y croyais pas ? Adèle, je donnerais vingt ans de ma vie pour être plus vieux de deux mois.

Adieu, ange, embrasse ton mari.