Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/251

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Je regrette bien douloureusement que cette semaine se passe sans que nous allions à Gentilly ; cette partie projetée était une de mes plus chères espérances ; couler encore une journée tout entière près de mon Adèle, lui donner le bras, lui parler, l’entendre, la voir tout le jour ! Il y a si longtemps que je n’ai joui d’une telle félicité ! Ce qui m’a bien affligé encore, ç’a été de voir que tu ne paraissais pas y songer, j’espérais chaque soir que tu m’en parlerais ; oui, cela m’a vivement affligé. Tu me diras que c’est un oubli, mais, Adèle, on n’oublie pas le bonheur, et si c’en eût été un pour toi comme pour moi, tu aurais pensé à m’exprimer au moins un regret. Ah ! je ne me console pas facilement de cette espérance déçue. Je voulais d’abord ne te rien dire de cette peine, mais elle vient de m’échapper et je ne peux ni ne veux plus te cacher combien elle est vive. Certes, si quelque chose pouvait ajouter au chagrin de n’avoir pas passé cette journée près de toi, c’était de ne point te voir le partager, et j’avoue que je manque de force pour cette double douleur. J’ai bien besoin, chère Adèle, de me rappeler les nombreuses preuves de tendresse dont tu me combles pour contrebalancer cette marque d’indifférence. Plains-moi, car je suis bien à plaindre, moi qui t’aime tant et... Mais non, je ne veux pas t’accuser, tâche, mon Adèle bien-aimée, de m’expliquer ce silence, car il me désole. C’est-à-dire, ne tâche pas, ne me dis jamais que la vérité, exprime plutôt un sentiment froid que tu sentirais qu’un sentiment passionné qui ne serait pas dans ton cœur.

Adèle, ange, pardonne-moi, hélas ! après la douce lettre que tu as daigné m’écrire, je ne sais ce que je dis. Combien je suis indigne de cet enthousiasme que tu veux bien me montrer, toi, être digne de tous les enthousiasmes ! Tu le vois, je suis bien injuste et bien ingrat ; mais tu me pardonneras, n’est-ce pas, mon Adèle adorée ? Tu me pardonneras, tu ne verras dans mes fautes que la démence d’un ardent amour. Tu sais que ton mari t’aime comme on n’a jamais aimé, j’ai ma grâce.

Adieu, embrasse le coupable à qui tu as pardonné.