Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/263

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Dimanche [8 septembre].

Tes deux lettres, mon Adèle, m’ont pénétré de reconnaissance et de joie. Je les ai lues et relues. Hier avant de me coucher, j’ai baisé tes cheveux avec plus de tendresse encore qu’à l’ordinaire, car mon amour était mêlé d’un repentir bien profond de tout le chagrin que je t’ai causé. Je m’empresse ce matin de t’écrire quelques mots pour que tu oublies mes déraisons et mes extravagances. Je répondrai en détail à tout ce que tu m’écris. Il est encore quelques points sur lesquels je combattrai tes idées, quelques autres sur lesquels je me justifierai. Mais, Adèle, je me soumettrai à ton jugement avec respect, car tu es un ange et je ne suis... que suis-je, grand Dieu ! près de toi ! Oh ! combien je t’aime ! et combien je m’abhorre de t’avoir si souvent tourmentée ! Chère, bien chère amie, tu ne m’as pas parlé de ta santé dans ta lettre et pourtant je t’en avais bien priée. Tu t’oublies toujours, mais ce n’est pas avec moi qu’il faut t’oublier, car quel autre sujet que toi peut intéresser ton Victor ? Ô mon Adèle, toi qui es à moi, pardonne-moi d’être si peu de chose et d’avoir levé mes yeux si haut. Oui, tu es à moi, et cependant je ne te mérite pas, si ce n’est par mon culte pur et profond, par mon humble et aveugle adoration. Je t’aime, je t’aime et en vérité je ne comprends pas comment je puis prononcer et écrire d’autres mots. Dis-moi, as-tu beaucoup souffert cette nuit ? Je verrai demain un médecin habile que je consulterai et dont je te répéterai les paroles. Chère amie, ou ne souffre pas ou fais que je souffre avec toi. Donne-moi, je t’en supplie, du courage pour tes douleurs. Tu es malade, Adèle, parce qu’il faut bien que quelque chose t’avertisse que tu es de notre nature. Mourir, pour toi, ce sera reprendre des ailes. Mais tu ne mourras qu’après moi, car tu es jeune, fraîche et belle, et Dieu ne voudra certainement pas trancher de bonne heure une vie de vertu. Adèle, ne m’entretiens jamais de ces idées si lugubres et heureusement si improbables. Songe que je suis souvent seul et qu’alors ma tête fermente. Adieu, écris-moi, je t’en supplie, bien long, puisque nous ne pouvons nous parler. Il faut m’arrêter, ma pensée a conçu vingt pages avant que ma plume ait parcouru une ligne. Adieu, je ne suis quelque chose que par l’affection que tu daignes me porter et l’amour que j’ose te vouer. Aime-moi toujours et pense à moi dans ta belle âme. Je t’embrasse tendrement.

Ton mari, Victor.