Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/29

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’autre femme que toi et de devenir ton mari sitôt que cela sera en mon pouvoir. Brûle toutes mes autres lettres et garde celle-ci. L’on peut nous séparer ; mais je suis à toi, éternellement à toi ; je suis ton bien, ta propriété, ton esclave... N’oublie jamais cela, tu peux user de moi comme d’une chose et non comme d’une personne ; en quelque lieu que je sois, loin ou près, écris-moi ta volonté, et j’obéirai, ou je mourrai.

Voilà ce que j’ai à te dire avant de cesser de te voir, pour que tu m’indiques toi-même les moyens que tu désireras me voir employer, si tu juges à propos de conserver quelques relations avec moi. — Oui, mon Adèle, oui, il faudra sans doute bientôt cesser de te voir. Encourage-moi un peu...

Je fais souvent des réflexions bien amères. Depuis que tu m’aimes, tu te crois moins estimable (c’est ton expression) qu’auparavant ; et moi, depuis que je t’aime, je me crois de jour en jour meilleur. C’est qu’en effet, chère Adèle, je te dois tout. C’est le désir de me rendre digne de toi qui me rend sévère sur mes défauts. Je te dois tout et je me plais à le répéter. Si même je me suis constamment préservé des débordements trop communs aux jeunes gens de mon âge, ce n’est pas que les occasions m’aient manqué, mais c’est que ton souvenir m’a sans cesse protégé. Aussi, ai-je, grâce à toi, conservé intacts les seuls biens que je puisse aujourd’hui t’offrir, un cœur pur et un corps vierge. J’aurais peut-être dû m’abstenir de ces détails, mais tu es ma femme, ils te prouvent que je n’ai rien de caché pour toi et jusqu’où va l’influence que tu exerces et exerceras toujours sur ton fidèle mari.

V.-M. Hugo.