Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/337

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À Monsieur Foucher[1].
La Roche-Guyon, 20 août [1821].

Je viens enfin, monsieur, d’arracher mon départ pour demain matin[2]. Je ne puis plus longtemps rester éloigné de Paris. Comment ! cette indisposition se prolongera encore jusqu’à la fin de la semaine prochaine[3] ! Je comptais, en ouvrant votre lettre, sur l’annonce d’un rétablissement complet, et quoique votre sérénité éloigne toute idée de danger, l’idée des souffrances et de l’ennui qu’elle éprouve sans doute suffit pour m’affliger vivement. Que je la plains, mais que je suis plus à plaindre qu’elle ! Il est encore si doux, quand nous souffrons, de penser qu’un autre être s’exagère nos douleurs et se fait des tourments de nos peines, je voudrais être au lit, je serais heureux d’être épuisé, mourant, si je croyais que mon agonie excitât en elle le quart de la tendre compassion que son indisposition fait naître en moi. Ici, quels plaisirs puis-je goûter ? Dix-huit lieues me séparent d’elle, et elle est malade.

Je ne dirais point tout cela à un intermédiaire, s’il n’était son père. Et, d’ailleurs, elle ne doit pas ignorer qu’ici, comme partout, son souvenir est la seule compagnie qui puisse me consoler de son absence, que sa pensée me suit dans le parc, dans les ruines, dans les tourelles, dans ma grande, gothique et magnifique chambre, qu’elle est présente à toutes mes promenades, à toutes mes rêveries, et qu’au milieu des inquiétudes multipliées qui m’assiègent, sa santé est devenue ma seule inquiétude.

Au reste, ces immenses salons dorés, ces vastes terrasses et par-dessus tout, ces grands laquais obséquieux me fatiguent. Je n’ai ici d’autre attrait que la colline boisée, les vieilles tours, et avant tout la société charmante de cet aimable duc de Rohan, l’un de mes amis les plus chers et les plus dignes d’être noblement aimés. Je le quitte bien vite. Mais il est heureux. Quel besoin a-t-il de moi, qui ne le suis pas ?

Tous mes amis, tous ceux qui veulent bien s’embarrasser de je ne sais quelles altérations de ma santé, me conseillent le séjour de la campagne. Ils ignorent que je ne vis pas, loin de Paris.

  1. Inédite en partie.
  2. Victor Hugo était allé passer quelques jours à la Roche-Guyon, chez le duc de Rohan.
  3. « Notre malade va aussi bien que nous pouvons l’espérer. La fluxion suit son cours... En définitive, je crois que nous serons sur pied à la fin de la semaine prochaine. »