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CORRESPONDANCE. — 1821

qui viennent de s’écouler fussent fatales à nos deux familles tour à tour et que les jours solennellement consacrés aux joies et aux félicitations ne fussent pour nous que des jours de regret et de commémoration des morts. C’est en effet, mon cher oncle, au retour de ces belles et douces fêtes de famille que ceux-là pour qui le lien de famille est rompu sentent plus vivement que jamais l’isolement de leur cœur et le vide de leur existence. C’est lorsque mille visages rayonnants vous souhaitent et vous prédisent un heureux avenir que l’on se reporte plus douloureusement que jamais vers la félicité passée, à jamais perdue et que d’autres affections remplaceront si difficilement. Hélas ! mon bon oncle, pardonnez à ce langage bien triste en un jour si riant ; comment fermer l’année qui s’achève sans songer à tout ce qu’elle a entraîné loin de nous de notre bonheur et de nos joies, sans jeter encore un regard sur tous les souvenirs doux et déchirants qu’elle emporte avec elle ?… Je crois qu’il n’est plus de bonheur pour nous, si ce n’est dans l’oubli de ce qui était notre bonheur, et cet oubli est-il possible ? Pardonnez encore, cher oncle ; à cette époque joyeuse toutes les idées lugubres que j’endormais dans la monotonie de la vie habituelle, se sont réveillées d’elles-mêmes et c’est presque malgré moi que je cède au charme pénible de vous en entretenir. Au lieu des vœux de prospérité et des promesses de bon avenir, je ne vous apporte qu’un cœur plein de tristesse et de découragement. Cependant votre sort, à vous, présente mille consolations que je n’aurais pas dû oublier, et en vous parlant comme au frère de notre mère chérie, j’aurais dû me souvenir aussi que je parlais au père d’une jeune famille, remplie d’espérance et de vertu.

Continuez, mon excellent oncle, à la voir prospérer sous vos soins et s’enrichir de vos leçons. Vous êtes digne du bonheur de la paternité, vous qui avez été si digne du bonheur conjugal. Vous avez rempli de félicité la vie de celle qui vous a été si tôt enlevée, vos enfants qui vous restent rempliront de consolation celle que vous êtes destiné à terminer doucement sur la terre au milieu d’eux pour la continuer dans le ciel dans les bras d’êtres aussi chers, de votre épouse et de votre sœur. Agréez ces vœux, ils ne peuvent manquer d’être exaucés. Qu’une nouvelle espérance survive à cette année éphémère ; mais elle ne vous abandonnera que pour se changer en bonheur éternel.

Veuillez, mon cher oncle, reporter nos souhaits ardents à toute votre chère famille que nous représentons si faiblement près de notre Adolphe, et croire à l’attachement profond et dévoué de votre neveu respectueux.

Victor-M. Hugo.