Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/40

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bon tout cela ? Remarque bien que je n’en parle ni pour me glorifier, ni pour me plaindre.

Tu es heureuse sans moi, ai-je jamais voulu autre chose que ton bonheur ? Tu vas te récrier ; mais je t’ai vue, sans être vu de toi, dans des fêtes où tu paraissais aussi riante que jamais. J’ai pensé un moment que tu étais comme moi obligée de faire bon visage à la mauvaise fortune. J’étais, je le vois, dans l’erreur. Je me retire. De quel droit irais-je donc t’entraîner de force dans mon avenir de tristesse et de malheur ? De quel droit irais-je jeter les agitations de ma vie à travers le calme de la tienne ? Non, sois heureuse. Pardonne-moi de t’avoir troublée un moment. Adieu. C’est...[1]

Adieu, je ne t’écrirai plus, je ne te parlerai plus, je ne te verrai plus. Sois contente. Il n’y aura que moi de puni, comme il n’y eut que moi de coupable. Cependant, tant que ton bonheur ne sera pas à jamais assuré, je veux vivre, car il faut que si jamais tu as besoin de moi, tu puisses encore me trouver là. Adieu.

V[2].
  1. Deux lignes illisibles effacées dans la pliure du papier.
  2. Cette lettre provoqua une réponse affolée d’Adèle : « …J’admire, mon cher Victor, ta lettre aimable. Ce n’est pas assez de tous mes chagrins, ce n’est pas assez d’être constamment tourmentée, et c’est au moment où je te donne la plus grande preuve de ma tendresse que tu me dis des choses vraiment injurieuses... Je veux absolument que maman me rencontre te parlant, elle me mettra dans un couvent, je serai heureuse tout à fait... Si tu savais combien tu m’as coûté de larmes, de chagrins, de nuits blanches, vraiment tu me plaindrais. Cette lettre se ressent d’un peu de folie. Tu vas croire que j’ai perdu la tête. C’est un peu vrai… Il est malheureux que j’aie trouvé le temps de vous écrire dans un moment où j’ai si peu la tête à moi, car j’avoue que j’ai reçu votre lettre comme un congé honnête, et cela est bien capable de me rendre folle... J’avais écrit cette lettre au moment où je venais de lire la tienne, je l’ai relue une heure après, je ne voulais pas te la donner, mais j’ai voulu te faire voir mon imagination montée ; tu ne sais pas, mon cher Victor, à quel point une femme peut aimer et combien une lettre comme la tienne fait mal... Mon cher ami, si ne pas t’écrire t’afflige, j’aime mieux courir les risques d’être vue que de te faire seulement le moindre chagrin. » — Cette lettre fut sans doute remise le 21 mars, en recevant la lettre de Victor Hugo.