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À Paul Foucher,


La Miltière[1], ce mardi 10 mai [1825].

Je commence ceci, mon cher Paul, avec l’intention de t’écrire une des plus longues lettres que j’aie encore écrites depuis que je suis parti. Si, par hasard, elle ne répondait ni à ton attente, ni à la mienne, n’en accuse pas mon intention, mais bien je ne sais quelle cause imprévue qui sera venue me couper ma satisfaction et mon loisir. D’ailleurs nous nous verrons bientôt à Paris, et je te raconterai tout ce que je n’aurai pu t’écrire.

Je suis pour le moment dans une salle de verdure attenante à la Miltière ; le lierre qui en garnit les parois jette sur mon papier des ombres découpées dont je t’envoie le dessin, puisque tu désires que ma lettre contienne quelque chose de pittoresque[2]. Ne va pas rire de ces lignes bizarres jetées comme au hasard sur l’autre côté de la feuille. Aie un peu d’imagination. Suppose tout ce dessin tracé par le soleil et l’ombre et tu verras quelque chose de charmant. Voilà comme procèdent ces fous qu’on appelle des poëtes.

J’ai laissé ton aimable lettre à Blois, ce qui m’empêche d’y répondre en détail. D’ailleurs, tu m’y faisais plus de questions que ne t’en feront certainement les six pédants noirs de la Faculté lors de ta candidature au baccalauréat ès lettres de l’Université de Paris. Tu m’y parlais de la butte des Capucins et de Diane, et moi, pour te contrarier, j’ai bien envie de ne te parler que de Chambord et de Chabara.

Imagine-toi, mon cher Paul, que depuis que j’ai vu Chambord, je vais demandant à chacun : Avez-vous vu Chambord ? comme La Fontaine qui disait à tout passant : Avez-vous lu Baruch ?

À propos de La Fontaine, parlons du colonel Féraudy. Il t’aime toujours beaucoup, quoique tu te sois avisé de trouver un de ses vers faux, ce qui lui est sensible. Il fait toujours des fables : il en a même fait une en mon honneur où il me traite d’animal, et qui finit par un calembour. C’est une galanterie !

Adieu, mon cher Paul, embrasse bien tendrement ton bon père et ta bonne mère pour mon Adèle et pour moi. Papa et sa femme et Didine leur disent, ainsi qu’à toi, mille choses affectueuses. Tout le monde se porte

  1. Propriété que le général Hugo possédait, à quelques lieues de Blois.
  2. À travers les lignes de la lettre sont tracés de grands traits en circonvolutions bizarres.