Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/414

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Je suis rentré hier soir à onze heures, après avoir été chercher ta mère au spectacle. J’ai dormi cette nuit à force de fatigue, et je t’ai vue dans tous mes rêves. Cette nuit a été bien triste, c’est la première que je passe loin de toi, dans un lit quelconque. Ce matin, je viens de voir notre excellent abbé de Lamennais qui est toujours dans ses maudites affaires. Il m’a demandé bien affectueusement de tes nouvelles, m’a beaucoup parlé de ma Didine, et a été charmant comme à son ordinaire. Je verrai aujourd’hui M. de La Rochefoucauld. Je commanderai ma culotte. Tout cela va me forcer de te quitter déjà. Ta pauvre tante est bien malade. Mlle Zoé[1] se porte, dit-on, fort bien. Mlle Justine est aux sacrements. M. et Mme Deschamps, M. et Mme François te font mille amitiés et mille hommages, ainsi qu’à nos chers parents.

Si le vicomte[2] ne me donne pas d’argent, ton père m’en prêtera et se payera sur le remboursement.

Adieu, chère Adèle, adieu, bien-aimée. Qu’il m’en coûte de fermer déjà cette lettre ! Quand donc en recevrai-je une de toi ?

Tes bons parents sont aux petits soins pour moi. Ils t’embrassent, et ta Didine, et nos parents. Dis à mon bon père qu’il ne se fatigue pas trop aux travaux de tête, et qu’il se promène. Mille hommages à Mme Brousse[3]. Embrasse ton père et ta mère de Blois. Tu sais comme je t’aime ! Adieu pour aujourd’hui[4].


À Madame Victor Hugo.


Paris, 11 mai, midi et demi.

Je rentre triste et abattu comme à mon ordinaire, et je trouve ta lettre du 19 mai. Quel bonheur ! Mais comment n’en ai-je encore que du 19, mon Adèle bien-aimée ? Elle a dû être mise à la poste le 20 et aurait dû arriver hier, je devrais aujourd’hui en avoir une du 20. Sais-tu qu’il y a quatre jours et trois nuits que nous sommes séparés ! Que le temps est long ! et qu’il me tarde de savoir ce que tu fais depuis l’éternité que je ne t’ai vue ! Comme tout est désert autour de moi maintenant que tu n’es plus là ! Quelle force nous avons eue, chère amie, et quelle force il nous faut encore. Tu dois recevoir en ce moment même ma troisième lettre, et je n’en ai encore qu’une de toi ! vois combien je suis malheureux ! J’espère encore en recevoir une demain, puis je n’aurai plus de bonheur jusqu’au 26, jour de notre arrivée à Reims. Tu sais que nous partons après-demain mardi matin.

  1. Zoé, sœur de Julie Duvidal.
  2. Le vicomte de La Rochefoucauld.
  3. Femme du colonel Brousse, ami et voisin du général.
  4. Bibliothèque nationale.