Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/416

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qu’ils ne me retardent pas, c’est tout ce que je demande au bon Dieu, et je l’espère.

Ton père, à mon retour, m’a remis un billet de mille francs qu’il a emprunté à la caisse d’un de ses amis. Ainsi me voilà lesté. Biscarrat a dîné avec nous, et le soir nous avons fait avec MM. Paulin, François, Carlier, etc., l’écarté du samedi. Que tout cela est triste !

Ce matin, j’ai visité notre appartement où tout est en fort bon état. J’ai vu Mme Devéria[1]. Ses fils étaient sortis, et j’ai déposé chez eux les crachats, etc., de papa. Tout cela est bien recommandé. M. Louis Decleu m’a apporté l’épée de son père dont la poignée est fort belle. Mais je serais obligé pour m’en servir de changer le fourreau et le ceinturon. Cela vaut-il mieux que d’en louer ou acheter une ? Il est embarrassant de concilier la représentation et l’économie. Car je dois être économe, ce ne sont pas mes deniers. Je serai pourtant encore obligé de changer les boutons de l’habit que Beauchêne vient de m’envoyer.

Je ne me sens plus d’aucune fatigue, mais je suis toujours triste. C’est une maladie qui durera encore douze jours. Il faut prendre son parti, mais qu’il est difficile de vivre sans toi, même peu de jours, mon Adèle adorée !

Adieu, tout est ici dans le même état. Tout le monde t’embrasse. Baise mille fois ma Didine. Ta lettre est bien douce ; écris-moi toujours. J’ai mis un baiser sur ton baiser et sur ta larme.

Adieu, ange. Je crains que ma lettre de demain ne soit bien courte. C’est demain qu’il faut emballer et charger. J’ai rendez-vous chez Lamennais à dix heures et chez Nodier à onze. Devéria viendra à neuf heures. Je me lèverai de bonne heure pour t’écrire, si François me laisse ma matinée. Adieu, mon Adèle ; adieu, ma Didine.

Il est inutile de te dire d’embrasser nos chers parents, c’est de fondation.


À Madame Victor Hugo.


23 mai, 1 heure après-midi.

Je t’écris, mon Adèle, sur la table et avec la plume de Nodier. Je viens de déjeuner avec cet excellent ami, et Rabbe, et Soulié, qui t’envoie un œillet, et Taylor, qui te prépare un dessin. Nous avons arrangé définiti-

  1. Mère d’Achille et Eugène Devéria, tous deux peintres et dessinateurs de talent ; Achille Devéria fit de Victor Hugo, en 1829, un portrait qui eut un grand succès. Dans le manuscrit de L’Homme qui Rit, on lit cette note écrite par Victor Hugo sous un portrait : « Les dessins quelconques qui sont dans mes manuscrits sont tous de moi. Celui-ci, par exception unique, n’en est pas. C’est le portrait d’Eugène Devéria, fait par lui-même, et en 1824. Il l’avait donné à mon frère Abel, duquel je le tiens. » Bibliothèque Nationale.