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À Sainte-Beuve.


Ce 9 mars [1831].

Il y a des siècles, cher ami, que je ne vous ai vu et je passe ma vie à parler de vous et à y penser. Je vous enverrai Notre-Dame de Paris un de ces matins. N’en pensez pas trop de mal, je vous prie.

Permettez-moi, en attendant, de vous adresser M. Buloz[1], directeur de la Revue des Deux Mondes, recueil qui se régénère, et qui serait bien puissamment rajeuni si vous vouliez y coopérer. M. Buloz qui, je crois, vous plaira beaucoup, désire vivement vous entretenir de cette affaire.

Faites pour lui, je vous prie, tout ce que vous pourrez.

Votre éternel ami,
V. H.[2].


À Mademoiselle Mars, 64, rue Saint-Lazare.


Mardi, 10 mars 1831.
Madame,

Je veux tous les jours vous aller voir et tous les jours mon temps s’en va en mille affaires. J’ai pourtant besoin de vous parler, besoin de vous donner bien des explications que vous entendrez avec votre charmante bonté ordinaire, besoin de vous exprimer bien des regrets auxquels vous croirez sans peine. Vous avez été assez bonne pour venir deux fois chez moi. J’ai été bien fâché de ne pas m’y être trouvé. Vous auriez vu qu’il n’y a eu aucun tort de ma part dans le parti que j’ai dû prendre de retirer définitivement Marion de Lorme du Théâtre-Français. Vous savez que le ministère a osé essayer de rétablir la censure ; les auteurs ont dû s’engager à ne donner aucune pièce aux théâtres censurés, le Théâtre-Français était dans cette catégorie ; j’ai adhéré, comme je le devais, à l’acte d’union des auteurs. La Porte-Saint-Martin est venue me faire offre de jouer ma pièce avec toutes les résistances que je voudrais contre la censure. J’en ai prévenu Taylor, comme je l’avais promis, en lui donnant communication des conditions que M. Crosnier offrait de souscrire ; je lui ai déclaré que je donnerais la préférence au Théâtre-Français aux mêmes conditions. Je l’ai chargé de vous prévenir et de prévenir aussi le comité, et je lui ai donné ma parole que j’attendrais vingt-quatre heures avant de rien signer. Je n’ai plus eu de nouvelles de lui. J’ai pourtant attendu trois jours au lieu de vingt-

  1. François Buloz, ses études terminées, fut typographe dans la même imprimerie que Pierre Leroux ; en 1831, il devint directeur de la Revue des Deux Mondes, puis, de 1838 à 1848, commissaire royal près le Théâtre-Français.
  2. Archives Spoelberch de Lovenjoul.