Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/530

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loisir et de rêverie. Penser à un ami absent, c’est une des joies les plus graves et les plus calmantes de la vie. J’écris peu, parce que je suis paresseux et presque aveugle ; et puis, voyez-vous, Pavie, en amitié, comme en art, comme en tout, il arrive souvent que d’écrire gâte la pensée.

Vous, dont la vie n’est pas emportée et arrachée de toutes ses ancres par un continuel tourbillon, vous qui êtes à Angers et non à Paris, vous qui n’avez pas une existence publique qui rudoie à tout moment votre existence privée, vous devriez m’écrire souvent, mon ami, et me faire en de longues lettres l’histoire attentive de votre pensée et de votre âme. Ce serait bien à vous ; je me reposerais les yeux sur votre paix et sur votre bonheur.

Dites-moi, il y avait l’autre jour dans votre Feuilleton d’Angers un article bien remarquable, quoique beaucoup trop bon pour moi, signé C. R. Connaissez-vous l’auteur de cet article ? Remerciez-le pour moi. Si je savais où lui écrire, j’aurais plaisir à le faire moi-même[1].

Écrivez-moi longuement, mon cher Pavie. Parlez-moi de vous, de votre excellent père, de votre frère, si vous en avez des nouvelles. Dites-moi où vous en êtes de la vie.

Quand donc viendrez-vous à Paris ?

Je vous aime et je vous embrasse.

Victor H.


À M. Harel[2],
directeur du théâtre de la Porte-Saint-Martin.
1er mai, 7 heures du matin.
Monsieur,

Hier à minuit, en rentrant chez moi, je pensais trouver une réponse de vous à ma dernière lettre. J’ai demandé à ma femme s’il était venu une lettre pour moi ; au trouble avec lequel elle m’a répondu que non, j’ai présumé qu’il était en effet arrivé une lettre de vous, qu’elle l’avait ouverte et qu’on me le cachait[3]. J’en ai conclu que cette lettre contenait proba-

  1. Article intitulé l’Empereur et le Poëte et publié dans le Feuilleton d’Angers, 17 mars 1833.
  2. Harel, ancien préfet des Landes pendant les Cent jours, exilé par les Bourbons, s’enfuit à Bruxelles et devint en 1828 régisseur du théâtre royal. Gracié par Charles X, il rentra en France et prit la direction du théâtre de la Porte Saint-Martin. C’est là que fut créée, le 2 février 1833, Lucrèce Borgia.
  3. Il s’était élevé un dissentiment entre Harel et Victor Hugo au sujet du drame : Marie Tudor, que l’auteur refusait au directeur. De là un échange de correspondance (nous n’avons pas les premières lettres de Victor Hugo) ; le dernier billet de Harel (30 avril) concluait : « J’attends donc une réparation. Faites-moi savoir quand et où vous voulez me la donner ». C’est cette dernière lettre que Mme Victor Hugo avait ouverte. - Harel fit des excuses et le duel n’eut pas lieu.