Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/66

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Lundi, minuit (12 novembre).

Je ne puis lire un mot de toi, ma chère Adèle, sans qu’il me remplisse de joie ou de tristesse et quelquefois de toutes deux à la fois. C’est l’effet que m’a produit ta dernière lettre. J’y ai vu que mon injustice égalait ta générosité, et quoiqu’il y ait peut-être quelque sévérité dans la partie de ta lettre où tu me fais sentir mes torts, c’est un devoir pour moi de les reconnaître et un bonheur de t’en demander pardon. Tu le sais, mon Adèle, si quelquefois je te tourmente, ce n’est qu’à force de t’aimer, hélas ! et je me tourmente bien plus moi-même. Je suis fou, mais fou d’amour, et, chère amie, ne dois-je pas trouver grâce à tes yeux ? Toute mon âme se consume à t’aimer, tu es ma pensée unique, et il m’est impossible de trouver, je ne dirai pas du bonheur, mais le moindre plaisir hors toi. Tout le reste m’est odieux.

La fin de ta lettre, Adèle, m’a profondément ému. Tu désespères de notre bonheur mutuel et cependant tu dis qu’il est dans mes mains[1]. Oui, mon Adèle, ma bien-aimée fiancée, il y est, et je suis sûr, si tu m’aimes, d’y atteindre ou de mourir. Et quels sont, en effet, les obstacles à surmonter ? Quelle volonté osera s’opposer à la mienne quand il s’agira de toi ? Ne sais-tu pas qu’il n’y a pas une goutte de sang dans mes veines qui ne soit destinée à couler pour toi ? Et tu doutes ? Va, mon Adèle, aime-moi comme je t’aime, et je me charge du reste. Une volonté ferme fait la destinée, et, quand on a su souffrir, on sait vouloir. D’ailleurs, l’homme qui met sa vie en jeu dans les calculs de son avenir est presque toujours sûr de gagner ; et moi, je n’épouserai jamais que toi ou une boîte de sapin.

Il nous faudrait si peu de chose en effet pour être heureux, Adèle ! Quelques mille francs de rente et un oui accordé par indifférence ou affection paternelle, voilà mon beau rêve réalisé. Crois-tu, vraiment, que ce soit si difficile ? Non, mon Adèle, tu es à moi et tu seras éternellement à moi. Te figu-

  1. « Notre bonheur mutuel est dans tes mains. Ce bonheur, cher Victor, ne sera jamais ; je ne sais pourquoi, mais je ne suis pas née pour être heureuse. » (Reçue le 9 novembre 1821.)