Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/80

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Vendredi (7 décembre).

Tu vois que je suis fidèle à ma promesse et je n’ai pas de peine, Adèle, car depuis quatre jours que je ne t’ai vue, quel plaisir plus grand que de m’occuper de toi ! Je ne sais trop ce que je vais t’écrire, je ne suis heureux que lorsque je te vois, et quand je t’écris, je ne te vois pas. En ton absence, toutes mes idées sont tristes et pour me débarrasser d’un présent qui me pèse, je suis contraint de me reporter par le souvenir à la dernière fois que je t’ai vue, ou par l’espérance à la première fois que je te verrai. Je me rappelle que tu m’as parlé, que tu m’as souri, et je ne puis me croire à plaindre quand je songe que tu me parleras, que tu me souriras encore. Cependant, chère amie, tu ne saurais te figurer la multitude d’ennuis qui m’assiègent. Indépendamment de mes chagrins et de mes inquiétudes domestiques, il faut encore me résigner à tous les dégoûts des haines littéraires. Je ne sais quel démon m’a jeté dans une carrière où chaque pas est entravé par quelque inimitié sourde ou quelque basse rivalité ! Cela fait pitié et j’en ai honte pour les lettres. Il est insipide de se réveiller chaque matin en butte aux petites attaques d’une tourbe d’ennemis auxquels on n’a jamais rien fait et que pour la plupart on n’a jamais vus. Je voudrais t’inspirer de l’estime pour cette grande et noble profession des lettres ; mais je suis forcé de convenir qu’on y fait une étrange étude de toutes les bassesses humaines. C’est en quelque sorte un grand marais dans lequel il faut se plonger, si l’on n’a pas des ailes pour se soutenir au-dessus de la fange. Moi, qui n’ai pas les ailes du talent, mais qui me suis isolé par un caractère inflexible et des principes invariables, je suis quelquefois tenté de rire de tous les petits torts qu’on cherche à me faire, mais plus souvent, je l’avoue à la honte de ma philosophie, tenté de me fâcher. Tu penseras peut-être, chère Adèle, avec une apparence de raison que, dans les intérêts importants qui m’occupent, je devrais être insensible à de telles misères ; mais c’est précisément l’état d’irritabilité où je suis qui me les rend insupportables, ce qui ne ferait que m’importuner si j’étais heureux m’est aujourd’hui odieux ; je souffre quand de misérables moucherons viennent se poser sur mes plaies. N’en parlons plus, c’est avoir trop de bonté ; ils ne valent pas la plume que j’use et le papier que je salis.

Samedi 8.

Il faut que tu me grondes, chère amie, j’ai été presque stupide toute la semaine, préoccupé que j’étais par les souvenirs de cette charmante soirée