Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/82

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
Jeudi matin (13 décembre).

Je ne sais trop quelle lettre je t’aurais écrite, Adèle, car je t’avouerai que j’étais sorti dimanche soir triste et mécontent de toi ; mais hier je t’ai vue et tous mes nuages ont été dissipés. J’étais sombre quand je t’ai rencontrée, cette joie inespérée m’a rendu ma sérénité. Oublions donc tout, aussi bien, tu ne te rappelles sans doute plus toi-même tout ce qui m’avait si vivement blessé dimanche. Chère Adèle, tu ne t’amuserais pas à me tourmenter dans le peu d’instants que je passe avec toi, si tu réfléchissais que ce n’est qu’en toi que je puis trouver bonheur et repos.

Je ne puis m’empêcher d’admirer le hasard qui m’a conduit hier sur tes pas dans un moment où j’avais tant besoin de ta vue. La fermentation qu’une vie isolée fait naturellement subir à toutes mes idées avait porté mon abattement au comble, je ne sais quelles extravagantes méditations s’étaient emparées de mon cerveau, quand mon bon ange t’a offerte tout à coup à moi, comme le seul remède à tous mes maux, la seule consolation à toutes mes peines. Mon seul regret, c’est que ma vue n’a certainement pas produit sur toi la même impression, car je devais avoir l’air d’un spectre.

Je me suis hâté de t’écrire quelques mots ce matin, pour me consoler de tous les ennuis d’une journée qui se passera sans doute sans que je te voie ; je reprendrai ce papier plus tard, si je puis, ou demain. Adieu donc, chère amie, jusqu’à demain.


Vendredi, une heure du matin.

Tu vas te fâcher, chère amie, en voyant l’heure à laquelle je t’écris ; j’avoue que j’ai tort de te désobéir, mais cela m’arrive si rarement, et d’ailleurs, mon Adèle, n’y a-t-il pas quelque mérite à te confesser ma désobéissance ? En me levant, je t’avais écrit, je n’ai pas voulu me coucher sans t’écrire encore. Je viens de travailler, je suis épuisé, mais satisfait, en pensant que c’est pour toi. Pardonne-moi, Adèle, je t’assure que bien des nuits se sont écoulées depuis que cela ne m’est arrivé. Adieu, je t’en écris peu, pour ne pas te désobéir plus longtemps, tu dors tranquille en ce