Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/92

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Jeudi (27 décembre).

J’ai encore, Adèle, passé mardi une journée bien heureuse, empoisonnée seulement le soir par l’idée que l’on te gronderait peut-être de mon assiduité près de toi. Chère amie, l’idée que tu puisses endurer pour moi le moindre chagrin est l’un de mes chagrins les plus vifs. Je ne comprends pourtant point qu’il puisse y avoir le moindre mal à ce qui me rend si heureux. Quoi qu’il en soit, je sacrifierai tout, mon Adèle bien-aimée, plutôt que de te voir tourmentée à cause de moi. Quand toutes ces contraintes s’évanouiront-elles ! Quand pourrai-je me glorifier à la face du monde de t’aimer, toi dont je suis si fier, toi dans qui j’ai mis toute ma gloire et tout mon orgueil ! Que ton Victor, chère Adèle, que ton mari sera heureux le jour où il pourra porter publiquement ce titre, le plus beau de tous à ses yeux ! Va, nous serons bien heureux un jour ! Mais nous sommes, ou (pour parler sans présomption) je suis bien à plaindre aujourd’hui. Ne passer sur tant de jours que si peu d’heures auprès de toi, et les voir encore troublées par une gêne perpétuelle ! En vérité, toutes mes autres peines qui sembleraient peut-être plus douloureuses à un cœur froid, ne sont rien près de celle-là. Tous mes amis qui me demandent si souvent d’où vient que je parais triste et soucieux sont loin d’attribuer cette tristesse à sa véritable cause.

Mais, Adèle, tu m’aimes, et mon imagination ne conçoit pas d’effroyable malheur dont cette seule idée ne me console. Elle suffit pour me faire brusquement passer de l’abattement à l’exaltation. Tant que je sentirai que j’ai une vie à donner pour toi, je ne me plaindrai pas de mon partage. Ton esclave, mon amie adorée, n’a-t-il pas deux bras pour construire ton bonheur ? Oh ! je t’en supplie, aime-moi, et ne doutons pas de l’avenir. Marchons-y avec un cœur fidèle et un front serein. Enseigne-moi, toi qui es la plus noble des créatures semblables à Dieu, enseigne-moi tes angéliques vertus, car je ne vaux rien que par toi. Si je puis jusqu’ici dérouler toute ma vie sans rougir, n’est-ce pas à toi, Adèle, que je le dois ? Si aujourd’hui je ne trouve aucun remords parmi tous mes chagrins, ne le dois-je pas à l’influence protectrice de ton être sur le mien ? Combien je dois t’aimer, toi qui m’as préservé de tout, qui me conduiras à tout ! Combien je t’aime, toi à qui je dois de pouvoir t’aimer d’une manière digne de toi ! Que tu m’aimes aussi un peu, et le malheur n’est rien.

Vendredi, 28 décembre 1821.

Il y a juste aujourd’hui deux ans, mon Adèle bien-aimée, que je passai une soirée bien enivrante et dont le souvenir restera toujours entre mes plus doux souvenirs. Nous allâmes ensemble pour la première fois au spec-