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À Madame de Girardin.


Jersey, 5 septembre [1852].

Quelle charmante lettre, et quelle douce pensée de me l’avoir envoyée ce jour là ![1] Il y a dans cette idée tout le cœur d’une femme de génie. Je vous remercie. Je baise vos mains qui ont écrit ces belles et tendres pages. Je baise vos pieds qui vous amèneront peut-être à Jersey. — Mais quel reproche dans la dernière ligne ! Comment avez-vous pu supposer que je ne vous avais pas écrit ! Le jour où parvint à Bruxelles la nouvelle de votre deuil, un français, M. Lindet, vint me voir, il rentrait à Paris, je lui remis une lettre qu’il se chargea de vous porter lui-même. Je ne puis comprendre comment elle ne vous est pas arrivée. Croyez tout de moi, excepté que je vous oublie. Ce serait un crime de tromper l’attente d’un cœur comme le vôtre.

Lady Tartufe par Mme Molière. Ceci est déjà du génie. Qui a trouvé cela trouvera le reste. Mais venez donc à Jersey me lire cette œuvre où vous mettrez tant de choses qui ne sont qu’à vous. Le voyage est ce qu’il y a de plus simple au monde : deux cents francs pour l’aller et le retour en tout, trois heures de mer par Saint-Malo, deux heures par Granville. Vous à Jersey ! J’en rêve déjà. Que votre mari vous y rejoigne et il me semble qu’il ne restera plus rien en France.

Vous comprenez que je ne vous dis rien de ce qui pourrait empêcher cette lettre de vous parvenir. Mais venez, et comme nous nous dédommagerons ! Que de choses ! Quelles avalanches de conversations ! Arrivez-nous bien vite. Nous vous logerons fort mal dans un petit coin de notre cabane, mais vous n’aurez qu’à sortir pour que l’océan baise vos pieds, et je lui ferai concurrence.

L’île est charmante et superbe ; on voit à l’horizon la France comme un nuage et l’avenir comme un rêve. Soyez la figure qui sort du rêve et l’étoile qui sort du nuage. Venez !

Ma femme et ma fille vous embrassent tendrement et tous nous nous mettons à vos pieds.

Serrez là-bas pour moi cette main que je voudrais serrer ici.

La Presse nous vient. Elle nous apportera votre roman[2]. Nous vous remercierons en admirant.

Victor H.[3]
  1. Mme de Girardin avait écrit le 4 septembre, anniversaire de la mort de Léopoldine.
  2. Marguerite ou les deux amours.
  3. Archives de M. L. Détroyat.