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Pelletan et Nefftzer que j’aime, et qui ne m’écrivent pas. Écrivez-moi de longues lettres. Savez-vous que vous avez un grand talent, poëte, ce qui ne vous empêche pas d’être pleine d’esprit, madame.

Je vous envoie Harmodius[1] et quelques mots dits le 24 février[2].

Victor Hugo[3].


À Villemain[4].


19 mars 1854.

J’ai besoin de vous remercier, cher ami ; j’ai su, car tout finit par arriver aux solitudes, votre démêlé au sujet d’un article où vous aviez mis mon nom. J’en ai été fier et heureux : ce que vous faites est digne de ce que vous êtes. Le courage et la hauteur de cœur vous vont.

Votre souvenir m’a charmé ; il ne m’a pas consolé : je n’en ai pas besoin. J’ai la même affliction que vous pour la chute de la liberté, la honte de la France ; voilà toute ma douleur, je n’en ai pas d’autre. Je n’ai pas de grief personnel. Je remercie Dieu de ce qu’il a bien voulu faire de moi, de l’épreuve que je subis, de la ruine où je médite. Je trouve bonne l’adversité, bonne l’injustice, bonne la haine, bonne la calomnie qui se glisse comme le ver dans le sépulcre. Si toutes ces choses qu’on est convenu d’appeler le malheur et qui sont sur moi, pèsent le poids d’un caillou dans le progrès humain, je bénis la destinée.

J’ai tort pourtant de dire que je n’ai pas besoin d’être consolé, car quel abaissement, cher ami ! Comme on se rue dans l’abjection ! ces juges ! ces prêtres ! et cela en France ! et quelle fange après tant de gloire ! mais je regarde l’avenir, et je dis encore : tout est bien.

Si j’étais à Paris en ce moment, savez-vous où j’irais ? J’irais à l’Académie, d’abord pour vous serrer la main, puis pour tâcher de faire couronner la poésie, quel que soit le scandale, en plein Institut. Vous rappelez-vous comme je me débattais, il y a trois ans, avant le déluge, pour ce poëme sur Mettray ? L’Académie a fini par le couronner, et il a bien fait. Je lutterais encore aujourd’hui (les bonnes et douces luttes, hélas !) pour le même talent, pour le même poëte, pour la même poésie. Oui, je tâcherais de renouveler cet esclandre : le poëte glorifié par l’Académie, l’ima-

  1. Les Châtiments.
  2. Banquet anniversaire du 24 février 1848. Actes et Paroles. Pendant l’exil.
  3. Gustave Simon. Victor Hugo et Louise Colet, Revue de France, 15 mai 1926.
  4. En tête de ce brouillon partiel, cette ligne :
    J’ai écrit aujourd’hui à Villemain… (Suit le texte à partir de : Je n’ai pas de grief personnel, jusqu’à : Je bénis la destinée.) Après quelques points de suspension, le texte reprend depuis : Savez-vous ce que c’est que Jersey ? jusqu’à : le tonnerre finira bien par tomber.