Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome II.djvu/226

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anonyme rayonne[1]. Vous faites de l’incognito une auréole. On dit : pourquoi donc ? et l’on se conte la chose, et l’on applaudit l’auteur autant que la pièce. Je suis heureux de tout cela. Savez-vous que c’était le jour de ma fête ? On m’a fait toutes sortes de choses charmantes et aimables ici, mais mon bouquet était à Paris. Il était fait de rayons, il s’appelait succès, et il est tombé à vos pieds, juste comme s’il s’était échappé de mes mains. Vous voilà riche. Il faut que vous veniez à Marine-Terrace avec votre ravissante et chère femme, et que vous veniez avant la fin de la saison. Les bains de mer font du bien après les averses de bravos.

Vous avez vu Auguste, et nous allons le revoir. C’est une joie qui vous quitte et qui nous revient. — Tout ce que je lis sur votre pièce, tout ce que j’en entends dire me charme. C’est beau, c’est grand. Vous avez déjà des couronnes dans ce haut drame cyclique qui touche à l’épopée où vous êtes maître. Si quelque chose me console de mon silence, cher ami, c’est d’entendre votre voix.

Hélas ! rien n’est complet. Le cheval blanc ne va pas sans le cheval noir dans le triste attelage de la vie. À côté de votre triomphe, j’apprends le deuil de Michelet. La plaie qui s’ouvre à son cœur rouvre la plaie du mien. Je lui écris. Voici ma lettre. Seriez-vous assez bon pour la lui remettre ?

À bientôt, n’est-ce pas ? Je corrige les épreuves des Contemplations. Je crois que vous serez content. Où en suis-je de mes finances ? — Nous vous aimons[2].


À Herzen[3].


Marine-Terrace, 25 juillet 1855.

Cher concitoyen — car il n’y a qu’une cité, et en attendant la République universelle, l’exil est une patrie commune — vous avez une grande pensée. J’y adhère avec empressement et joie. Vous voulez diviser ce qui s’allie, les

  1. Le drame Paris, résumé de l’histoire de Paris, finissait sur ces mots du général Bonaparte : La République française est comme le soleil, aveugle qui ne la voit pas. La censure impériale, supprima deux tableaux et exigea que l’œuvre se terminât sur un tableau montrant Napoléon Ier victorieux. Paul Meurice refusa d’écrire cet acte, mais le directeur l’écrivit lui-même. Paul Meurice alors ne voulut pas que son nom parût sur l’affiche. Ces conventions furent bientôt violées et l’auteur intenta un procès — qu’il perdit. Paris fut représenté le 2 juillet 1855 au théâtre de la Porte-Saint-Martin.
  2. Correspondance entre Victor Hugo et Paul Meurice.
  3. Herzen, révolutionnaire russe, fut exilé en Sibérie ; gracié, il parcourut l’Europe ; expulsé de France, il se réfugia à Londres.