Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome II.djvu/27

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répondre[1]. Un mal plus fort que ma volonté me retenait cloué à mon banc.

La liberté de pensée a été bâillonnée dans votre personne, la liberté de conscience a été destituée dans la personne de M. Jacques[2] ; la philosophie, la science, la raison, l’histoire, le droit, les trois grands siècles d’émancipation : le seizième, le dix-septième et le dix-huitième, ont été niés, le dix-neuvième siècle a été affronté, tout cela a été acclamé par le parti qui est maître de la majorité, tout cela a été soutenu, expliqué, commenté, glorifié deux heures durant, par un M. Giraud[3] qui est, m’a-t-on dit, votre confrère et le mien à l’Institut, tout cela a été fait et dit par le ministre qui représente l’enseignement de France à cette tribune qui est l’enseignement du monde ! Je suis sorti honteux et indigné.

Je vous envoie ma protestation ; je voudrais l’envoyer à toute cette noble et généreuse jeunesse qui vous aime et vous admire et qui m’avait fait l’honneur de me choisir pour vous défendre et pour la défendre.

Je joins à ceci mes effusions les plus cordiales.

V. H.[4]
  1. Michelet vit en mars 1851 son cours au Collège de France suspendu par ordre ; une protestation des élèves des Écoles de droit et de médecine fut aussitôt libellée et portée le 23 mars à Victor Hugo pour lui demander d’intervenir à la Chambre. Les journaux rendirent compte de l’entrevue :
    « M. Victor Hugo, auquel une affection des organes de la voix causée, comme on sait, par les fatigues de la tribune, recommande encore d’impérieux ménagements, a promis à ces jeunes gens, si noblement dévoués à la cause de la pensée, que s’il pouvait parler au moment où leur pétition serait discutée, il plaiderait la cause de leur honorable et courageux professeur, M. Michelet, et de son libéral auditoire, la jeunesse des écoles.
    — Défendre M. Michelet, leur a-t-il dit, vous défendre, c’est défendre la liberté de la pensée, qui est le premier droit de l’homme, et la liberté de l’enseignement, qui est le premier besoin du peuple. »
    (L’Estafette, 24 mars 1851.)

    Malheureusement Victor Hugo souffrait beaucoup de la gorge ; déjà, le 2 septembre 1850, il était en traitement et, dans une lettre à M. Gillard, il écrivait : — « L’affection des organes respiratoires dont je suis atteint en ce moment m’empêchera de soutenir votre pétition à la tribune. »

  2. Professeur de philosophie et maître de conférences à l’École normale, M. Jacques vit son cours suspendu en même temps que celui de Michelet. Il avait fondé, en 1847, une revue : La liberté de pensée.
  3. Giraud, jurisconsulte, vice-recteur de l’Académie de Paris, ministre de l’Instruction publique, fut révoqué en 1852.
  4. Brouillon. Bibliothèque Nationale.