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À Charles Baudelaire[1].


Hauteville-House, 30 avril 1857.

J’ai reçu votre noble lettre et votre beau livre[2]. L’art est comme l’azur, c’est le champ infini : vous venez de le prouver. Vos Fleurs du Mal rayonnent et éblouissent comme des étoiles. Je crie bravo de toutes mes forces à votre vigoureux esprit.

Permettez-moi de finir ces quelques lignes par une félicitation. Une des rares décorations que le régime actuel peut accorder, vous venez de la recevoir. Ce qu’il appelle sa justice vous a condamné au nom de ce qu’il appelle sa morale ; c’est là une couronne de plus. Je vous serre la main, poëte.

Victor Hugo.


À Lamartine[3].


Guernesey. Hauteville-House, 6 mai 1857.
Mon cher Lamartine,

Pas d’équivoque entre nous. Tous les proscrits qui m’entourent ici pensent unanimement que c’est moi que vous avez voulu désigner dans votre

  1. Avant d’être le poëte universellement connu et admiré des Fleurs du Mal, Baudelaire se fit remarquer par sa critique du Salon de 1845 ; l’année suivante, son Salon de 1846 eut plus de succès encore. Pendant dix-sept ans, il traduisit avec passion toute l’œuvre d’Edgar Poe et à partir de 1857 il publia son œuvre personnelle qui ne connut le grand succès qu’après sa mort. Politiquement, littérairement et moralement, il était aussi éloigné que possible de Victor Hugo. Il fut au nombre des insurgés de juin 1848 ; en 1852, il réprouva les principes démocratiques qu’il avait soutenus quatre ans auparavant. Littérairement, Baudelaire haïssait l’humanitarisme, niait le progrès et l’utilité de la mission du poëte et n’admettait que l’art pour l’art. Moralement, sa duplicité et son cynisme s’étalèrent complaisamment dans sa correspondance avec ses amis et sa mère ; nous les signalerons au fur et à mesure.
  2. Les Fleurs du Mal qui venaient d’être condamnées comme immorales.
  3. Inédite.