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À Jules Simon[1]


Hauteville-House, 25 juin [1859].

Monsieur, votre beau livre, La Liberté, a mis beaucoup de temps à m’arriver et j’ai mis beaucoup de temps à le lire et à le méditer. Ne vous étonnez donc pas si j’ai tant tardé à vous remercier. Je ne m’en excuse point. Cette lenteur importe peu. Des ouvrages comme les vôtres sont patients parce qu’ils sont durables.

C’est presque un code que vous avez écrit là. Il y a d’un bout à l’autre un vrai souffle de législation.

Je ne suis pas d’accord avec vous sur tous les points. Mais nos dissidences sont rares, et il m’est arrivé bien des fois d’avoir en vous lisant cette sorte de surprise et de ravissement qu’on éprouve devant sa propre pensée intime admirablement dite par un autre. Votre chapitre sur la propriété est en particulier une de vos pages les plus profondes et les plus décisives. C’est un grand don, et vous l’avez, que de fortifier l’idée irréfutable par le style entraînant. Ces deux volumes, où l’histoire est si puissamment appelée au secours de la philosophie et le fait au secours de l’idéal, prendront place, monsieur, parmi vos plus belles œuvres. Vous avez choisi la grande heure pour défendre la Liberté. Il n’y a pas de plus beau moment que la nuit pour glorifier la lumière.

Trouvez bon, monsieur, que je vous serre cordialement la main.

Victor Hugo[2].
  1. Jules Simon, de son nom Jules Suisse, nous donne de lui-même un curieux tableau de son activité ; nous nous contenterons d’ajouter quelques dates :
    « J’ai fait beaucoup de livres ; je rougis de dire que j’ai publié plus de trente volumes. J’ai écrit dans beaucoup de journaux et de revues. On ferait plus de cent volumes avec les articles que j’ai publiés de tous les côtés ; je ne conseillerais à personne de les lire. J’ai été professeur à l’École Normale (1833), à la Sorbonne (1836) ; j’ai représenté successivement quatre départements (les Côtes-du-Nord, 1848 ; 8e circonscription de la Seine, 1863 ; la Gironde, 1869 ; la Marne, 1871) ; j’ai été conseiller d’État (1849), ministre (Instruction publique, 1870-1873) ; je suis sénateur (1875) ; j’ai fondé deux revues (la Liberté de penser, 1847, le Musée des Familles) ; je fais partie de beaucoup d’académies et d’une quantité d’associations presque innombrable. J’étais, au Corps législatif, un des députés les plus verbeux, et je trouvais le moyen, tout en occupant fréquemment la tribune, de faire des discours au dehors. Il n’y a pas un bourg de l’Hérault, de la Gironde, des Côtes-du-Nord, de la Marne où je n’aie péroré ; il n’y a pas une salle à Paris où je n’aie prononcé des discours ; les théâtres, les cirques, les ateliers, les greniers, les salles de mairie, les amphithéâtres de toutes les écoles, les palais les plus splendides, les bouges les plus misérables ont retenti de ma voix, qui n’est pas, tant s’en faut, une voix de tonnerre. » (Premières années.)
    Jules Simon brisa volontairement sa carrière en refusant, après le coup d’État, le serment exigé par l’empereur et que devaient prêter les professeurs.
  2. Collationnée sur l’original relié dans un exemplaire des Misérables, tome I, Bibliothèque Nationale, réserve.