Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome II.djvu/554

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Élevez la voix, ne vous découragez pas, la Force vraie est en vous, c’est la pensée.

Les hommes de la tyrannie ne sont rien devant les hommes de l’idéal.

L’idéal, tel est le but du progrès, tel est le faîte de la civilisation.

J’aime profondément l’Espagne, je suis presque un de ses fils, et c’est une joie pour moi de la voir, cette grande et illustre Espagne, conduite par des nobles esprits tels que vous, marcher de plus en plus vers la lumière.

Élimination et formation ; c’est la loi du monde.

Sous les tyrannies qui s’éliminent, l’Europe se forme.

Soyons européens.

C’est le commencement de la fraternité universelle.

Poëte, philosophe, homme ! Je suis avec vous.

Votre Droit vous donne une fonction, votre talent vous donne une mission.

Marchez, vous vaincrez.

Victor Hugo.
Hauteville-House, le 20 avril 1866[1].


À Jean Aicard[2].


Hauteville-House, 20 avril 1866.

Quel hasard étrange, monsieur. Je reçois aujourd’hui 20 avril votre lettre du 7 février, avec vos vers doux, profonds, attendris. J’y retrouve la haute conscience et le style charmant et vrai de votre article sur les Travailleurs de la mer. Je vous savais critique, et critique supérieur ; je vous salue maintenant poëte. Poëte dans la grande acception du mot, ayant des ailes pour porter haut son hymne, ayant une âme pour porter haut son cœur.

Je vous serre la main, ému.

Victor Hugo[3].


À Monsieur Alphonse Lemerre,
47, Passage Choiseul.
Pour remettre à Monsieur Paul Verlaine[4].


H. H., 22 avril [1866].

Une des joies de ma solitude, c’est, monsieur, de voir se lever en France, dans ce grand dix-neuvième siècle, une jeune aube de vraie poésie. Toutes

  1. Brouillon relié dans le Reliquat de Pendant l’exil. Bibliothèque Nationale.
  2. Inédite.
  3. Communiquée par M. Léon de Saint-Valéry.
  4. Verlaine publia ses premiers vers dans la Revue du Progrès en 1863 ; il collabora à plusieurs revues et donna quelques-uns de ses Poèmes saturniens au Parnasse contemporain ; Les Fêtes galantes et La Bonne Chanson le révélèrent et les volumes suivants le consacrèrent. Un scandale sur lequel nous n’insisterons pas fit un bruit fâcheux autour de son nom et provoqua son divorce. À partir de 1889, il erra d’hôpital en hôpital et mourut le 8 janvier 1896. En 1858, Paul Verlaine, alors élève de quatrième, avait dédié et adressé à Victor Hugo un sonnet et une lettre (Gustave Simon, Revue de France, 1er octobre 1924). Nous n’avons pas la réponse de Victor Hugo ; mais une correspondance suivie s’engagea en 1866 et se poursuivit jusqu’en 1873 ; Victor Hugo s’y montre affectueux, encourageant et consolateur dans les moments douloureux ; Verlaine déférent, admirateur enthousiaste et presque filial… Il devait renier tous ces beaux sentiments en 1887 dans Les Mémoires d’un veuf ; on y lit en effet : « ... tout ce qui part des Châtiments, Châtiments compris, m’emplit d’ennui, me semble turgescence, brume, langue désagrégée, monstrueuse improvisation, bouts rimés pas variés, facilité déplorable ». J’en passe, et des meilleurs.