Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome II.djvu/63

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voir tout de suite, et parle-lui raison. Une démarche inconsidérée en ce moment peut avoir les plus grands inconvénients. Tous les yeux aujourd’hui sont fixés sur moi. Je vis publiquement et austèrement dans le travail et les privations. De là un respect général qui se manifeste jusque dans les rues. En ce moment donc, il ne faut rien déranger à cette situation. J’ai d’ailleurs dans l’idée qu’avant peu nous serons à Paris. Dis-lui tout cela. Traite-la avec tendresse et ménage ce qui souffre en elle. Elle est imprudente, mais c’est un noble et grand cœur. Ne lui montre pas ceci. Brûle-le tout de suite. Dis-lui que j’écrirai à l’adresse qu’elle m’a donnée. Veille aux coups de tête[1].


À Madame Victor Hugo[2].


Samedi 24 [janvier 1852].
À brûler.

Ta lettre par Mme Tailler m’arrive au moment où j’allais t’écrire de mon côté. Chère amie, tout de suite un mot. Ce matin. Mme D… m’a encore écrit. Elle veut absolument venir, ne fût-ce, dit-elle, que pour quelques jours. Cela suffirait pour amener les plus graves inconvénients. Elle dit qu’elle viendra sans t’en parler. Il faut absolument, chère amie, que tu la voies et que tu la ramènes à la raison. Elle en manque ici complètement. Tu sais tout ce que je pense d’elle et combien c’est une généreuse et noble nature à mes yeux. Mais les coups de tête perdent tout. C’est justement cette violence que je lui sais, qui m’empêche de lui écrire. J’avais cependant usé du moyen qu’elle m’indiquait de façon à la rassurer complètement. Elle veut des lettres à elle. C’est là, dans les habitudes que tu lui connais de tout dire au monde entier, un très grand danger. Ma vie ici, je te le répète, est profondément austère et laborieuse. À Paris on dit tout ce qu’on veux, mais à Bruxelles je vis en public et on n’y dit rien de ce qui se colporte à Paris. Paris suppose, Bruxelles voit. — Vois Mme D... Veille sur elle. Je lui écrirai dès qu’elle sera calme. Elle veut venir, même Charles ici. Fais-lui sentir à quel point c’est impossible. Cela me ferait quitter Bruxelles sur-le-champ. Dis-lui

  1. À cette page Mme Victor Hugo répondit : « Sois bien tranquille, je vais me rendre tout à l’heure chez Mme D… Je te réponds qu’elle ne partira pas. Justement je viens d’écrire à Houssaye lui demandant un rendez-vous afin de lui parler du Voyage en question. Gautier, Houssaye et deux autres sont maîtres de la Revue… Je vais tourner Mme D… du côte de l’art. Ce sera une noble et puissante diversion, je l’espère. De ton côté, je crois qu’il serait bon que tu lui écrivisses des lettres qui satisferaient, sinon son cœur, du moins sa fierté. Fais-en une sœur de ton esprit. Je sais que tu n’as que peu de loisir, mais quelques mots de temps à autre peut-être suffiraient. Cher grand ami, je veille. Travaille en paix et sois calme ».
  2. Inédite.