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LE RHIN.

en lettres de cuivre qui étincelaient : L’armée de Sambre-et-Meuse à son général en chef ; et au-dessous de ces deux lignes le clair de lune m’a permis de lire ce nom, plutôt indiqué qu’écrit :

HOCHE.

Les lettres avaient été arrachées, mais elles avaient laissé leur vague empreinte sur le granit.

Ce nom, dans ce lieu, à cette heure, vu à cette clarté, m’a causé une impression profonde et inexprimable. J’ai toujours aimé Hoche. Hoche était, comme Marceau, un de ces jeunes grands hommes ébauchés par lesquels la providence, qui voulait que la révolution vainquît et que la France dominât, préludait à Bonaparte ; essais à moitié réussis, épreuves incomplètes que le destin brisa sitôt qu’il eut une fois tiré de l’ombre le profil achevé et sévère de l’homme définitif.

C’est donc là, pensais-je, que Hoche est mort. — Et la date héroïque du 18 avril 1797 me revenait à l’esprit.

J’ignorais où j’étais. J’ai promené mon regard autour de moi. Au nord, j’avais une vaste plaine ; au sud, à une portée de fusil, le Rhin ; et à mes pieds, au bas du monticule qui était comme la base de ce tombeau, un village à l’entrée duquel se dressait une vieille tour carrée.

En ce moment un homme traversait un champ à quelques pas du monument ; je lui ai demandé au hasard en français le nom de ce village. L’homme — un vieux soldat peut-être, car la guerre, autant que la civilisation, a appris notre langue à toutes les nations du monde — l’homme m’a crié : Weiss Thurm ; puis a disparu derrière une haie.

Ces deux mots Weiß Thurm signifient tour blanche ; je me suis rappelé la Turris Alba des romains. Hoche est mort dans un lieu illustre. C’est là, à ce même endroit, qu’il y a deux mille ans César a passé le Rhin pour la première fois.

Que veut cet échafaudage à ce monument ? Le restaure-t-on ? le dégrade-t-on ? Je ne sais.

J’ai escaladé le soubassement, et, en me tenant aux charpentes, par une des quatre ouvertures pratiquées dans le dé, j’ai regardé dans le tombeau. C’était une petite chambre quadrangulaire, nue, sinistre et froide. Un rayon de la lune, entrant par une des crevasses, y dessinait dans l’ombre une forme blanche, droite et debout contre le mur.

Je suis entré dans cette chambre par l’étroite meurtrière en baissant la tête et en me tramant sur les genoux. Là, j’ai vu au centre du pavé un trou rond, béant, plein de ténèbres. C’est par ce trou sans doute qu’on avait