Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome I.djvu/182

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
162
LE RHIN.

possible, dont les suites seraient funestes (j’écrivais toujours). Étudions-les, messieurs ; étudions ces monstres. La forme de l’un et de l’autre est à peu près la même ; mais le sarcopte du dromadaire est un peu plus allongé que le sarcopte humain ; la partie intermédiaire des poils postérieurs, au lieu d’être la plus petite, est la plus grande. La face ventrale a aussi ses particularités. Le collier est plus nettement séparé dans le sarcoptes hominis, et il envoie inférieurement une pointe aciculiforme, qui n’existe pas dans le sarcoptes dromadarii. Ce dernier est plus gros que l’autre. Il y a aussi une différence énorme aux épines de la base des pattes postérieures ; elles sont simples dans la première espèce, et inégalement bifides dans la seconde… —

Ici, las d’écrire toutes ces choses ténébreuses et imposantes, je ne pus m’empêcher de pousser le coude de G— et de lui demander tout bas : — Mais de quoi diable parle cet homme ?

G— se tourna à demi vers moi et me dit avec gravité : — De la gale.

Je partis d’un éclat de rire si violent, que le livre de notes me tomba des mains. G— le ramassa, m’arracha le crayon, et sans daigner répliquer à ma gaîté même par un geste de mépris, plus que jamais attentif aux paroles du charlatan, il continua d’écrire à ma place, dans l’attitude recueillie et raphaëlesque d’un disciple de l’école d’Athènes.

Je dois dire que les paysans, de plus en plus éblouis, partageaient, au suprême degré, l’admiration et la béatitude de G—. L’extrême science et l’extrême ignorance se touchent par l’extrême naïveté. Le dialogue obscur et formidable de G— et du charlatan avait parfaitement réussi près des villageois de l’honnête pays de Petit-Sou. Le peuple est comme l’enfant, il s’émerveille de ce qu’il ne comprend pas. Il aime l’inintelligible, le hérissé, l’amphigouri déclamatoire et merveilleux. Plus l’homme est ignorant, plus l’obscur le charme ; plus l’homme est barbare, plus le compliqué lui plaît. Rien n’est moins simple qu’un sauvage. Les idiomes des hurons, des botocudos et des chesapeacks sont des forêts de consonnes à travers lesquelles, à demi engloutis dans la vase des idées mal rendues, se trament des mots immenses et hideux, comme rampaient les monstres antédiluviens sous les inextricables végétations du monde primitif. Les algonquins traduisent ce mot si court, si simple et si doux, France, par Mittigouchiouekendalakiank.

Aussi, quand la baraque s’ouvrit, la foule, impatiente de contempler les merveilles promises, s’y précipita. Les mittigouchiouekendalakiank des charlatans se résolvent toujours en une pluie de liards ou de doublons dans leur escarcelle, selon qu’ils se sont adressés au peuple d’en bas ou au peuple d’en haut.

Une heure après, nous avions repris notre promenade et nous suivions la lisière d’un petit bois, G— ne m’avait pas encore adressé une parole. Je