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LÉGENDE DU BEAU PÉCOPIN.

mais elle se souvint qu’un accident pareil était arrivé jadis à la châtelaine Liba, et elle se sentit le cœur serré.

Pécopin entra rayonnant, lui parla de leur mariage et de leur bonheur, et le nuage qu’elle avait dans l’âme s’envola.


III

où est expliquée la différence
qu’il y a entre l’oreille d’un jeune homme
et l’oreille d’un vieillard.

Le lendemain de ce jour-là Bauldour filait dans sa chambre et Pécopin chassait dans le bois. Il était seul et n’avait avec lui qu’un chien. Tout en suivant le hasard de la chasse, il arriva près d’une métairie qui était à l’entrée de la forêt de Sonn et qui marquait la limite des domaines de Sonneck et de Falkenburg. Cette métairie était ombragée, à l’orient, par quatre grands arbres, un frêne, un orme, un sapin et un chêne, qu’on appelait dans le pays les quatre Évangélistes. Il paraît que c’étaient des arbres fées. Au moment où Pécopin passait sous leur ombre, quatre oiseaux étaient perchés sur ces quatre arbres, un geai sur le frêne, un merle sur l’orme, une pie sur le sapin et un corbeau sur le chêne. Les quatre ramages de ces quatre bêtes emplumées se mêlaient d’une façon bizarre et semblaient par instants s’interroger et se répondre. On entendait en outre un pigeon, qu’on ne voyait pas parce qu’il était dans le bois, et une poule, qu’on ne voyait pas parce qu’elle était dans la basse-cour de la ferme. Quelques pas plus loin, un vieillard tout courbé rangeait le long d’un mur des souches pour l’hiver. Voyant approcher Pécopin, il se retourna et se redressa :

— Sire chevalier, s’écria-t-il, entendez-vous ce que disent ces oiseaux ?

— Bonhomme, répondit Pécopin, que m’importe ?

— Sire, reprit le paysan, pour le jeune homme, le merle siffle, le geai garrule, la pie glapit, le corbeau croasse, le pigeon roucoule, la poule glousse ; pour le vieillard, les oiseaux parlent.

Le chevalier éclata de rire.

— Pardieu ! voilà des rêveries.

Le vieillard repartit gravement :

— Vous avez tort, sire Pécopin.

— Vous ne m’avez jamais vu, s’écria le jeune homme, comment savez-vous mon nom ?