Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome I.djvu/269

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
249
MAYENCE.

pleine de sépulcres, dans cette foule de princes et d’évêques gisants, dans ce cloître endormi et mort, il n’y a plus que le poëte qui soit resté debout et qui veille.

La place du marché, qui entoure deux côtés de la cathédrale, est d’un ensemble copieux, fleuri et divertissant. Au milieu se dresse une jolie fontaine trigone de la renaissance allemande ; ravissant petit poëme, qui, d’un entassement d’armoiries, de mitres, de fleuves, de naïades, de crosses épiscopales, de cornes d’abondance, d’anges, de dauphins et de sirènes, fait un piédestal à la vierge Marie. Sur l’une des faces on lit ce pentamètre :

ALBERTUS PRINCEPS, CIVIBVS IPSE SUIS.
lequel rappelle, avec moins de bonhomie, la dédicace écrite sur la fontaine élevée par le dernier électeur de Trèves, près de son palais, dans la ville neuve de Coblentz : Clemens Vinceslaus, elector, vicinis suis. À ses concitoyens est constitutionnel. À ses voisins est charmant.

La fontaine de Mayence a été bâtie par Albert de Brandebourg, qui régnait vers 1540 et dont je venais de lire l’épitaphe dans la cathédrale : Albert, cardinal prêtre de Saint-Pierre-aux-Lions, archichancelier du saint-empire, marquis de Brandebourg, duc de Stettin et de Poméranie, électeur. Il a érigé ou plutôt reconstruit cette fontaine en souvenir des prospérités de Charles-Quint et de la captivité de François Ier, comme le constate cette inscription en lettres d’or ravivées récemment :

DIVO KAROLO V CÆSARE SEMP. AVG. POST VICTORIA
GALLICAM REGE IPSO AD TICINV SVPERATO AC CAPTO
TRIVPHANTE FATALIQ RVSTICORV PER GERMNIA COSPI
RATIONE PROSTRATA ALBER. CARD. ET ARCHIEP. MOG.
FONTE HVNC VETVSTATE DILAPSV AD CIVIV SVORVM
POSTERITATISQVE VSVM RESTITVI CVRAVIT.

Vue du haut de la citadelle, Mayence présente seize faîtes vers lesquels se tournent gracieusement les canons de la confédération germanique ; les six clochers de la cathédrale, deux beaux beffrois militaires, une aiguille du douzième siècle, quatre clochetons flamands, plus le dôme des Carmes de la rue Cassette répété trois fois, ce qui est beaucoup. Sur la pente de la colline que couronne la forteresse, un de ces ignobles dômes coiffe une pauvre vieille église saxonne, la plus triste et la plus humiliée du monde, accostée d’un charmant cloître gothique à meneaux flamboyants où les kaiserlicks font boire leurs chevaux dans des sarcophages romans.