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LE RHIN.

David enfin, le berger David, qui tient sa fronde d’une main et la tête du géant de l’autre, c’est l’usurpateur légitimé par la gloire, Frédéric le Victorieux, qui semble dire à l’empereur Adolphe :

DAVID ÉTAIT UN JEUNE GARÇON
COURAGEUX ET PRUDENT,
À L’INSOLENT GOLIATH
IL A TRANCHÉ LA TÊTE.

Goliath n’avait qu’à se tenir pour averti.

C’était, en effet, un grand et formidable prince que l’électeur palatin. Il tenait parmi les électeurs-ducs le même rang que l’archevêque de Mayence parmi les électeurs-évêques. Il portait le globe du saint-empire dans les solennités germaniques. Depuis Charles-Quint, il le joignait à ses armes.

Les comtes palatins étaient volontiers lettrés, ce qui est l’ornement et la coquetterie des vrais princes. Au quatorzième siècle, Rupert l’Ancien fondait l’université de Heidelberg ; au dix-septième, le palatin Charles était docteur de l’université d’Oxford. Othon le Magnanime dessinait et sculptait. Il est vrai que Othon-Henri appartient à cet admirable seizième siècle, qui confondait dans une vie commune le prince et l’artiste sur ses sommets éblouissants. Charles-Quint ramassait le pinceau de Titien. François Ier, comme plus tard Charles IX, faisait des vers, peignait et dessinait. Molte volte, dit Paul Lamozzo, si dilettava di prendere lo stilo in mano e esercitarsi nel disegnare e dipingere.

C’était aussi un prince lettré, grâce à son vieux maître Mathias Kemnat, que ce Frédéric le Victorieux, qui fut, pour ainsi dire, au quinzième siècle, le jumeau de Charles le Téméraire, et dont le vaillant duc de Bourgogne préféra l’amitié au titre de roi. L’histoire n’a pas de figure plus fière. Il débute par l’usurpation, car son pays avait besoin d’un homme, et non d’un enfant. Il défend le Palatinat contre l’empereur et l’archevêque de Mayence contre le pape ; il se fait excommunier trois fois ; il bat la ligue des treize princes ; il prête main-forte à la hanse rhénane ; il tient tête à toute l’Allemagne ; il gagne les batailles de Pfeddersheim et de Seckenheim ; il donne au margrave Charles de Bade, à l’évêque Georges de Metz, au comte Ulrich de Wurtemberg, et aux cent vingt-trois chevaliers ses prisonniers le fameux repas sans pain ; il déclare la guerre aux burgraves-bandits et en purge le Neckar, comme Barberousse et Rodolphe de Habsbourg en avaient purgé le Rhin ; enfin, après avoir vécu dans un camp, il meurt dans un cloître. Vie qui sera plus tard celle du grand Frédéric, mort qui sera plus tard celle de Charles-Quint.