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STRASBOURG.

était verte ; c’était du gazon. Au-dessus de cette colline, on ne voyait absolument rien que le chapeau d’étain d’une tour d’église, lequel semblait posé exactement sur le haut du coteau. Ce chapeau était de forme flamande. (En Flandre, dans les églises de village, le clocher a la forme de la cloche.) Vous voyez cela d’ici, un immense tapis vert sur lequel on eût dit que Gargantua avait oublié sa sonnette.

Après Saint-Dizier la route est agréable. Une fraîche chevelure d’arbres se répand de tous les côtés, les vallons se creusent, les collines s’efflanquent et prennent par moments un faux air de montagnes. Ce qui aide à l’illusion, c’est que parfois, et malgré le joli aspect, la terre est maigre, le haut des collines est malade et pelé. On sent que la terre n’a pas la force de pousser sa sève jusque-là. Cela ne grandit les collines qu’en apparence ; mais enfin cela les grandit.

Une jolie ville, c’est Ligny. Trois ou quatre collines en se rencontrant ont fait une vallée en étoile. Les maisons de Ligny sont toutes entassées au fond de cette vallée, comme si elles avaient glissé du haut des collines. Cela fait une petite ville ravissante à voir ; et puis il y a une jolie rivière et deux belles tours en ruine. Ces collines sont charmantes, elles ont l’obligeance de forcer la malle-poste à monter au pas, si bien que j’ai pu descendre, suivre la voiture à pied et voir la ville.

J’ai des doutes à l’endroit de la cathédrale de Toul. Je la soupçonne d’avoir quelque affinité avec la cathédrale d’Orléans, cette odieuse église qui de loin vous fait tant de promesses, et qui de près n’en tient aucune. Cependant j’ai moins mauvaise idée de l’église de Toul ; il est vrai que je ne l’ai pas vue de près. Toul est dans une vallée, la malle y descend au galop ; le soleil se couchait, il jetait un admirable rayon horizontal sur la façade de la cathédrale ; l’édifice a un aspect de vétusté singulière, il a de la masse, c’était très beau. En approchant j’ai cru voir qu’il y avait au moins autant de délabrement que de vieillesse, que les tours étaient octogones, ce qui m’a déplu, et qu’elles étaient surmontées d’une balustrade pareille au couronnement des tours d’Orléans, ce qui m’a choqué. Cependant je ne condamne pas la cathédrale de Toul. Vue par l’abside, elle est assez belle. Au moment où nous passions le pont de Toul, mon compagnon de voyage m’a demandé si la maison de Lorraine n’était pas la même chose que la maison de Médicis.

Nancy, commue Toul, est dans une vallée, mais dans une belle, large et opulente vallée. La ville a peu d’aspect ; les clochers de la cathédrale sont des poivrières Pompadour. Cependant je me suis réconcilié avec Nancy, d’abord parce que j’y ai dîné, et j’avais grand’faim ; ensuite parce que la place de l’Hôtel-de-Ville est une des places rococo les plus jolies, les plus