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LE RHIN.

— Mais, monsir, il est pien tard.

— Qu’est-ce que cela fait ?

— Mais il sera nuit tans eine hère.

— Eh bien ?

— Mais monsir ne bourra bas foir.

— Voir ! Voir quoi ? Je ne demande pas à voir.

— Che gombrends bas monsir.

— Ah çà ! c’est donc bien beau à regarder, votre calaïsche à la choute ?

— Vort peau, monsir, atmiraple, manifigue !

— Eh bien, vous m’allumerez quatre chandelles tout autour.

— Guadre jantelles ! Monsir choue. (Lisez : Monsieur joue.) Che ne gombrends bas.

— Pardieu ! ai-je repris avec quelque impatience, je me comprends bien, moi ; j’ai faim, je veux manger.

— Mancher gouoi ?

— Manger votre calaïsche.

— Notre calaïsche ?

— Votre choute.

— Notre choute ! mancher notre choute ! Monsir choue. Mancher la choute ti Rhin ?

Ici je suis parti d’un éclat de rire. Le pauvre diable de garçon ne comprenait plus, et moi, je venais de comprendre. J’avais été le jouet d’une hallucination produite sur mon cerveau par l’orthographe éblouissante de l’aubergiste. Calaïsche à la choute signifiait calèche à la chute. En d’autres termes, après vous avoir offert à dîner, la carte vous offrait complaisamment une calèche pour aller voir la chute du Rhin à Laufen, moyennant dix francs.

Me voyant rire, le garçon m’a pris pour un fou, et s’en est allé en grommelant : — Mancher la choute ! églairer la choute ti Rhin afec guadre jantelles ! Ce monsir choue.

J’ai retenu pour demain matin une calaïsche à la choute.