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LE RHIN.

norum permoti, legatos ad Cæsarem de deditione mittunt. Il ne reste de Sueßonium que quelques débris défigurés, entre autres le temple antique dont le moyen âge a fait la chapelle de Saint-Pierre. Le vieux Soissons est plus riche. Il a Saint-Jean-des-Vignes, son ancien château et sa cathédrale, où fut couronné Pépin en 752. Je n’ai pu vérifier ce qui restait des fortifications du duc de Mayenne, et si ce sont ces fortifications qui firent dire en 1814 à l’empereur, remarquant dans la muraille je ne sais quel coquillage fossile, gryphée ou bélemnite, que les murs de Soißons étaient bâtis de la même pierre que les murs de Saint-Jean-d’Acre. Observation bien curieuse quand on songe comment elle est faite, par quel homme, et dans quel moment.

La nuit était trop noire quand j’entrai dans Soissons pour que je pusse y chercher Noviodunum ou Suessonium. Je me suis contenté de souper en attendant la malle et d’errer autour de la gigantesque silhouette de Saint-Jean-des-Vignes, hardiment posée sur le ciel, comme une décoration de théâtre. Pendant que je marchais, je voyais les étoiles paraître et disparaître aux crevasses du sombre édifice, comme s’il était plein de gens effarés, montant, descendant, courant partout avec des lumières.

Comme je revenais à l’auberge, minuit sonnait. Toute la ville était noire comme un four. Tout à coup un bruit d’ouragan se fit entendre à l’extrémité d’une rue étroite, jusqu’à ce moment parfaitement paisible et en apparence incapable d’aucun tapage nocturne. C’était la malle-poste qui arrivait. Elle s’arrêta à quelques pas de mon auberge. Il y avait précisément une place vide, tout était pour le mieux. Ce sont vraiment de fort élégantes et fort commodes voitures que ces nouvelles malles ; on y est assis comme dans son fauteuil, les jambes à l’aise, avec des oreillons à droite et à gauche si l’on ferme les yeux, et une large vitre devant soi si on les ouvre. Au moment où j’allais m’y installer très voluptueusement, un vacarme tellement étrange, mêlé de cris, de bruit de roues et de piétinements de chevaux, éclata dans une autre petite rue noire, que, malgré le courrier, qui ne me donnait pas cinq minutes, j’y courus en toute hâte. En entrant dans la petite rue, voilà ce que j’y vis. — Au pied d’une grosse muraille, qui avait cet aspect odieux et glacial particulier aux murs des prisons, une porte basse, cintrée, armée d’énormes verrous, était ouverte. À quelques pas de cette porte stationnait, entre deux gendarmes à cheval, une espèce de carriole lugubre à demi entrevue dans l’obscurité. Entre la carriole et le guichet se débattait un groupe de quatre à cinq hommes entraînant vers la voiture une femme qui poussait des cris effrayants. Une lanterne sourde, portée par un homme qui disparaissait dans l’ombre qu’elle projetait, éclairait funèbrement cette scène. La femme, une robuste campagnarde d’une trentaine d’années, résistait éperdument aux cinq hommes, hurlait, frappait, égratignait, mordait,