Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome I.djvu/77

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
57
LES BORDS DE LA MEUSE. — HUY. — LIÈGE.

une petite église rustique du dixième siècle encore intacte. Dans un autre village, à Selayen, je crois, on lit cette inscription en grosses lettres au-dessus de la principale porte de l’église : Les chiens hors de la maison de Dieu. Si j’étais le digne curé de Selayen, je penserais qu’il est plus urgent de dire aux hommes d’entrer qu’aux chiens de sortir.

Après Andennes, les montagnes s’écartent, la vallée devient plaine, la Meuse s’en va loin de la route à travers les prairies. Le paysage est encore beau, mais on y voit apparaître un peu trop souvent la cheminée de l’usine, ce triste obélisque de notre civilisation industrielle.

Puis les collines se rapprochent, la rivière et la route se rejoignent ; on aperçoit de vastes bastions accrochés comme un nid d’aigle au front d’un rocher, une belle église du quatorzième siècle accostée d’une haute tour carrée, une porte de ville flanquée d’une douve ruinée. Force charmantes maisons inventées pour la récréation des yeux par le génie si riche, si fantasque et si spirituel de la renaissance flamande, se mirent dans la Meuse avec leurs terrasses en fleurs des deux côtés d’un vieux pont. On est à Huy.

Huy et Dinant sont les deux plus jolies villes qu’il y ait sur la Meuse. Huy est à moitié chemin entre Namur et Liège, de même que Dinant entre Namur et Givet. Huy, qui est encore une redoutable citadelle, a été autrefois une belliqueuse commune et a soutenu des sièges contre ceux de Liège, comme Dinant contre ceux de Namur, dans ce temps héroïque où les villes se déclaraient la guerre comme font aujourd’hui les royaumes, et où Froissart disait :

La grand’ville de Bar-sur-Saigne
A fait trembler Troye en Champaigne.

Après Huy recommence ce ravissant contraste qui est tout le paysage de la Meuse. Rien de plus sévère que ces rochers, rien de plus riant que ces prairies. Il y a là quelques collines hérissées de ceps et d’échalas qui donnent un vin quelconque.

C’est, je crois, le seul vignoble de la Belgique.

De temps en temps on rencontre tout au bord du fleuve, dans quelque ravin au-dessus duquel passe la route, une fabrique de zinc dont l’aspect délabré et les toits crevassés, d’où la fumée s’échappe de toutes les tuiles, simulent un incendie qui commence ou qui s’éteint ; ou c’est une alunière avec ses vastes monceaux de terre rougeâtre ; ou bien encore, derrière une houblonnière, à côté d’un champ de grosses fèves, au milieu des parfums d’un petit jardin qui regorge de fleurs et qu’entoure une haie rapiécée çà et là avec un treillis vermoulu, parmi les caquets assourdissants d’une populace de poules, d’oies et de canards, on aperçoit une maison en briques, à tou-