Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome I.djvu/91

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
71
AIX-LA-CHAPELLE.

Chapelle l’église de Charlemagne, dévastée en 882 par les normands, et le dôme d’Othon III, incendié en 1236. Un système de chapelles basses, rattachées à la base de la grande chapelle centrale, devait, au portail près, envelopper tout l’édifice dans ses articulations. Déjà deux de ces chapelles, qui subsistent encore et qui sont admirables, étaient bâties quand survint l’incendie de 1366. Cette puissante végétation architecturale s’est arrêtée là. Chose étrange, le quinzième et le seizième siècle n’ont rien fait pour cette église. Le dix-huitième et le dix-neuvième l’ont gâtée.

Cependant, il faut le dire, prise dans l’ensemble et telle qu’elle est, la Chapelle d’Aix a de la masse et de la grandeur. Après quelques instants de contemplation, une majesté singulière se dégage de cet édifice extraordinaire, resté inachevé comme l’œuvre de Charlemagne lui-même, et composé d’architectures qui parlent tous les styles, comme son empire était composé de nations qui parlaient toutes les langues.

À tout prendre, pour le penseur qui la considère du dehors, il y a une harmonie étrange et profonde entre ce grand homme et cette grande tombe.

J’étais impatient d’entrer.

Après avoir franchi la voûte du portique et laissé derrière moi les antiques portes de bronze ornées à leur milieu d’une tête de lion et coupées carrément pour s’adapter à des architraves, ce qui a d’abord frappé mon regard, c’est une rotonde blanche à deux étages, éclairée par le haut, dans laquelle s’épanouissent de tous côtés toutes les fantaisies coquettes de l’architecture rocaille et chicorée. Puis, en abaissant mes yeux vers la terre, j’ai aperçu au milieu du pavé de cette rotonde, sous le jour blafard que laissent tomber les vitres blanches, une grande lame de marbre noir, usée par les pieds des passants, avec cette inscription en lettres de cuivre :


CAROLO MAGNO.


Rien de plus choquant et de plus effronté que cette chapelle rococo, étalant ses grâces de courtisane autour de ce grand nom carlovingien. Des anges qui ressemblent à des amours, des palmes qui ressemblent à des panaches, des guirlandes de fleurs et des nœuds de rubans, voilà ce que le goût Pompadour a mis sous le dôme d’Othon III et sur la tombe de Charlemagne.

La seule chose qui soit digne de l’homme et du lieu dans cette indécente chapelle, c’est une immense lampe circulaire à quarante-huit becs, d’environ douze pieds de diamètre, donnée au douzième siècle par Barberousse à Charlemagne. Cette lampe, qui est en cuivre et en argent doré, a la forme d’une couronne impériale ; elle est suspendue à la voûte, au-dessus de la