Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome II.djvu/294

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

J’ai quelque idée de l’avoir déjà dit ailleurs, on a beaucoup trop vanté la Loire et la Touraine. Il est temps de faire et de rendre justice. La Seine est beaucoup plus belle que la Loire ; la Normandie est un bien plus charmant « jardin » que la Touraine.

Une eau jaune et large, des rives plates, des peupliers partout, voilà la Loire. Le peuplier est le seul arbre qui soit bête. Il masque tous les horizons de la Loire. Le long de la rivière, dans les îles, au bord de la levée, au fond des lointains, on ne voit que peupliers. Il y a pour mon esprit je ne sais quel rapport intime, je ne sais quelle ineffable ressemblance entre un paysage composé de peupliers et une tragédie écrite en vers alexandrins. Le peuplier est, comme l’alexandrin, une des formes classiques de l’ennui.

Il pleuvait, j’avais passé une nuit sans sommeil, je ne sais si cela m’a mis de mauvaise humeur, mais tout sur la Loire m’a paru froid, triste, méthodique, monotone, compassé et solennel.

On rencontre de temps en temps des convois de cinq ou six embarcations qui remontent ou descendent le fleuve. Chaque bateau n’a qu’un mât et une voile carrée. Celui qui a la plus grande voile précède les autres et les traîne, et le convoi est disposé de façon que les voiles vont diminuant de grandeur d’un bateau à l’autre du premier au dernier, avec une sorte de décroissance symétrique que n’interrompt aucune saillie, que ne dérange aucun caprice. On se rappelle involontairement la caricature de la famille anglaise, et l’on croirait voir voguer à pleines voiles une gamme chromatique. Je n’ai vu cela que sur la Loire ; et je préfère, je l’avoue, ces sloops et ces chasse-marée normands, de toutes formes et de toutes grandeurs, qui volent comme des oiseaux de proie, et qui mêlent leurs voiles jaunes et rouges dans la bourrasque, la pluie et le soleil, entre Quillebœuf et Tancarville.

Les espagnols appellent le Manzanarès le vicomte des fleuves ; je propose d’appeler la Loire la douairière des rivières.

La Loire n’a pas, comme la Seine et le Rhin, une foule de jolies villes et de beaux villages bâtis au bord même du fleuve et mirant leurs pignons, leurs clochers et leurs devantures dans l’eau. La Loire traverse cette grande alluvion du déluge qu’on appelle la Sologne ; elle en rapporte des sables que son flot charrie et qui obstruent souvent et encombrent son lit. De là, dans ces plaines basses, des crues et des inondations fréquentes qui refoulent au loin les villages. Sur la rive droite, ils s’abritent derrière la levée ; mais là ils sont à peu près perdus pour le regard ; le passant ne les voit pas.

Pourtant la Loire a ses beautés. Mme de Staël, exilée par Napoléon à cinquante lieues de Paris, apprit qu’il y avait sur les bords de la Loire, exactement à cinquante lieues de Paris, un château appelé, je crois, Chaumont.