Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome II.djvu/336

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jours, montaient par la route qui s’élève, et nous suivions la route qui descend.

Fontarabie m’avait laissé une impression lumineuse. Elle était restée dans mon esprit comme la silhouette d’un village d’or, avec clocher aigu, au fond d’un golfe bleu, dans un éloignement immense. Je ne l’ai pas revue comme je l’avais vue. Fontarabie est un assez joli village situé sur un plateau avec une promenade d’arbres au bas et la mer à côté, et assez près d’Irun, une demi-lieue.

La route s’enfonce dans des montagnes superbes par la forme, charmantes par la verdure. Les collines ont des casaques de velours vert, usé çà et là. Une maison se présente, grande maison de pierre à balcon, avec un vaste blason qu’on prend d’abord pour l’écusson d’Espagne, tant il est pompeux et impérialement bigarré. Une inscription avertit : Estas armas de la casa Solar. año 1759.

Un torrent côtoie le grand chemin. À chaque instant des ponts d’une arche couverts de lierre, branlant sous quelque chariot à bœufs qui le traverse. Cri afFreux des roues dans les ravins.

Depuis quelques instants un homme armé d’une escopette court à côté de la diligence, vêtu comme un faubourien de Paris ; veste ronde et pantalon large en velours de coton couleur cuir ; cartouchière sur le ventre ; chapeau rond ciré comme nos cochers de fiacre, avec cette inscription : cazadores de guipuzcoa. C’est un gendarme. Il escorte la diligence.

Est-ce qu’il y a des voleurs ? Pas possible. On sort de France. On hausse les épaules. Cependant on arrive dans un village. Comment s’appelle cet endroit ? Astigarraga. Qu’est-ce que c’est que cette longue voiture peinte en vert à la porte de cette auberge ? C’est la malle-poste. Pourquoi est-elle arrêtée, dételée et déchargée ? Elle est déchargée parce qu’elle n’a plus de chargement ; dételée parce qu’elle n’a plus de chevaux ; arrêtée parce qu’elle a été arrêtée. Arrêtée ? par qui ? Par des voleurs, qui ont tué le postillon, emmené les chevaux, dévalisé la voiture et détroussé les voyageurs. Et les pauvres diables qui sont là sur le seuil de l’auberge avec cet air piteux ? Ce sont les voyageurs. Ah ! vraiment ? On se réveille. Cela est donc possible. Décidément on voit qu’on est sorti de France.

Le cazador vous quitte. Un autre se présente. Celui qui vous quitte vient à la portière et vous demande l’aumône. C’est sa paie.

On songe aux pièces d’or qu’on a dans sa poche et l’on donne une pièce d’argent. Les pauvres donnent un sou, les avares un liard. Le cazador reçoit la peseta, prend le sou et accepte le liard. Le cazador ne sait guère que courir sur la route, porter un fusil et demander l’aumône. C’est là toute son industrie.