Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome II.djvu/363

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À Pasages il y a toujours des filles qui lavent et des linges qui sèchent ; les filles lavent dans les ruisseaux, les linges sèchent sur les balcons. Cela égaie l’oreille et les yeux.

Ces balcons sont les plus curieuses choses du monde à regarder et à étudier. Vous ne pouvez vous figurer tout ce qu’il y a, outre les linges séchant en plein air, sur un balcon de Pasages.

La balustrade elle-même, qui est presque toujours ancienne, c’est-à-dire torse ou ciselée, vaut déjà la peine d’être examinée. Puis, au plafond du balcon, — car tout balcon a un plafond qui est le balcon supérieur ou le rebord du toit, — à ce plafond, dis-je, se balancent des lignes, des nasses, des filets, des rouleaux de corde, des éponges, un perroquet dans une cage de bois, des caisses suspendues pleines d’œillets rouges sous lesquelles s’enchevêtrent des nœuds de corde, petits jardins aériens qui vous font songer à Sémiramis. Au mur, entre les fenêtres, s’accrochent des bouquets d’immortelles liés en croix, des haillons, de vieilles vestes brodées, des drapeaux, des torchons ; puis des choses fantastiques dont on ne peut deviner l’utilité et qui sont là pour l’ornement, quatre lattes attachées en carré, un fil de fer en cerceau, un tambour de basque crevé. Quelques dessins charbonnés sur le mur blanchi, des seaux à cercles de fer brillant pour puiser l’eau, et une jeune fille qui rit accoudée à la balustrade, complètent l’ameublement du balcon.

Dans le vieux Pasages, de l’autre côté de la baie, j’ai vu une maison du quinzième siècle dont le balcon, plus fourmillant d’objets et plus encombré qu’une basse-cour de Normandie, est encadré entre deux sévères profils de chevaliers sculptés sur de larges planches de chêne.

Le jour où j’arrivai, comme pour fêter ma bienvenue, un vieux jupon, composé de plusieurs guenilles de toutes couleurs cousues ensemble, flottait comme une bannière à l’un de ces balcons. Ce bariolage éclatant se gonflait au vent avec un orgueil et un faste inexprimables. Je n’ai jamais vu plus magnifique manteau d’arlequin.

À midi, le soleil abat sous tous les toits et sous tous les balcons de larges bandes d’ombre horizontale qui font ressortir la blancheur des façades et qui font que cette ville, si on l’aperçoit de loin se détachant sur le fond vert et sombre des montagnes, semble vivre d’une vie lumineuse et extraordinaire.

La place surtout est éclatante. Car il y a une place à Pasages, laquelle, comme toutes les places espagnoles, s’appelle plaza de la Constitucion. En dépit de ce nom parlementaire et pluvieux, la place de Pasages étincelle et reluit avec une verve admirable. Cette place n’est autre chose que le prolongement de la rue, élargi et ouvert sur la mer. Quelques-unes des hautes maisons qui l’entourent sont juchées sur de colossales arcades. La maison centrale